Depuis son premier film, La Faute à Voltaire (2000), chacune des œuvres d’Abdellatif Kechiche est sélectionnée dans les plus grands festivals internationaux où elles créent l’événement. C’est dire que Cannes 2013 attendait son « Kechiche », placé malignement en toute fin de programmation. Le film, La Vie d’Adèle Chapitre 1 & 2, véritable choc d’une durée de trois heures, s’est avéré grandiose et aura d’emblée gagné sa cible : au lendemain de la projection et dans un consensus quasi irréel, le Film français recensait pas moins de douze « palmes » attribuées par le carré VIP des critiques français dans son traditionnel tableau de notation des films cannois.
Adapté d’une bande dessinée (Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh), La Vie d’Adèle, cinquième film du réalisateur franco-tunisien, raconte l’histoire d’amour entre Adèle, une lycéenne de 15 ans qui découvre sa sexualité (Adèle Exarchopoulos, ingénue et fantastique) et une étudiante des Beaux-Arts, Emma, lesbienne accomplie aux cheveux bleus (Léa Seydoux, superbe dans son meilleur rôle à ce jour).
Le spectateur suit tout d’abord le quotidien affectif d’Adèle, encore vierge mais décidée à se laisser déniaiser par un gentil gars qui a craqué pour elle. Malheureusement, ce premier coït n’est pas très satisfaisant et Adèle pense qu’il lui manque quelque chose. Au détour d’un baiser hasardeux avec l’une de ses copines, elle a la révélation qu’elle est attirée par les filles et très vite, Adèle rencontre Emma. Lorsqu’elles s’embrassent pour la première fois entre deux rayons de soleil, les jeunes femmes s’unissent d’un amour qui semble défier les lois de la gravitation. Sexuellement tout est au beau fixe là aussi, régulièrement et dans de longues scènes tonitruantes, les filles s’envoient en l’air. Progressivement, leur vie commune trouve son sens dans le bonheur partagé de chaque instant. Emma, plus mature et plus forte prend Adèle sous son aile protectrice et partage son savoir, tandis qu’Adèle qui entre progressivement dans la vie adulte, est toujours source de fraîcheur, de dévotion et d’une inspiration renouvelée pour Emma. Néanmoins, un jour, un nuage vient assombrir l’ordre établi de leur vie tranquille…
Au delà de l’apparente simplicité des récits de Monsieur Kechiche, c’est toujours son style et sa mise en scène qui impressionnent l’esprit et le cœur. Sa méthode cinématographique cherche inlassablement la note juste (la « Blue note » tel un musicien de jazz) et vise notamment à s’attarder sur ce qu’il nomme lui-même sa « dimension contemplative ». Répétant inlassablement les scènes avec des acteurs qui se donnent entièrement, créant un « climat » de confiance avec eux plusieurs mois avant le tournage, multipliant les prises pendant, focalisant sur des « petites choses », privilégiant les gros plans (beaucoup de bouches, de visages chez Kechiche), le cinéaste traque tout de ses personnages et ne cède rien derrière la caméra, à l’aune d’un Maurice Pialat, figure quasi tutélaire, qui plane sur tout le film. Le montage, enfin, vient à bout des rushs (apparemment toujours en quantité incommensurable) et produit l’émergence de la vie à l’écran, cette impression inaltérable d’un surgissement d’une « vérité » qui, en même temps qu’elle contracte le temps, place le public en apnée jusqu’au bout du film.
A tous les niveaux ainsi, La Vie d’Adèle Chapitre 1 & 2 d’Abdellatif Kechiche fait l’effet d’une bombe, mais plus encore, l’effet d’une victoire : celle de l’équipe du film et celle du spectateur. (Olivier Bombarda)
La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche… France 2013. Palme d’or du 66e Festival de Cannes. Sortie le 9 octobre 2013.
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L’extrait me laisse perplexe…grossièrement discursif…Chez les frères Dardenne on ne retrouve pas ce didactisme par exemple. (Je parle de l’extrait pas du film que je n’ai pas vu..)
Exactement… Mais heureusement, l’extrait n’est pas du tout représentatif du film ! (qui mérite amplement sa Palme d’or)
Je vous invite à lire la critique de M.Neuhoff sur Le figaro. Il a l’air d’étirer ma remarque à propos de cet extrait à l’ensemble du film. Bref qu’on soit d’accord ou non, c’est de la grande critique…
Ce qui est génial avec monsieur Neuhoff, c’est que même quand la rédaction du Figaro décide collectivement que La Vie d’Adèle, c’est un grand film (oui, parfois ils sont perspicaces), Eric Neuhoff ne peut pas s’empêcher de publier son propre papier pour dire que lui, il a tout compris mieux que tout le monde, et que La Vie d’Adèle, c’est pas bien.
Je sais pas, il dit que le film est très bon mais il en souligne les limites. Il fait la part des choses, je trouve que c’est bien…Souligner quelques limites ne signifie pas rejeter le film…
Ok, j’arrive des mois après la discussion, et j’espère que Charles aura eu l’occasion de voir “La Vie d’Adèle” et de s’en faire sa propre idée (positive ou non)… Simplement, si l’on doit rechercher une limite au film de Kechiche, ce serait tout simplement celle du réalisme. Aussi, plutôt que de “limite”, conviendrait-il davantage, il me semble, de parler de proposition cinématographique ou de parti pris.
Bien sûr, le réalisme a depuis longtemps été remis en cause, et les arguments du cubisme, de Tzara, d’Artaud et de beaucoup d’autres à son encontre sont à la disposition de chacun. Et restent tout à fait envisageables (on peut d’ailleurs lui préférer Carax, Lynch, Jodorowsky…). Toutefois, ce parti pris de réalisme chez Kechiche est tenu de bout en bout dans son film, et témoigne quand même d’une force de conviction indéniable – d’autant que, des films qui évacuent le réalisme avec succès, il n’y en a finalement pas tant que ça…
Tout cela pour dire que tout film trouve évidemment des limites qui lui sont propres (constat d’une banalité absolue), mais que celles-ci dépendent du projet poursuivi, et qu’en l’occurrence, celui de Kechiche est assez magistralement mené, même si c’est au prix d’une temporalité parfois épaisse – et qui, précisément, ancre son réalisme ; ce que Neuhoff est manifestement incapable de comprendre.
En revanche, écrire qu’Eric Neuhoff, “c’est de la grande critique”, là, excusez-moi, les bras m’en tombent ! Un type qui ose terminer sa critique par “Quant à Léa Seydoux, elle mérite une bonne fessée” : voilà qui pourrait vraiment tenir de la rigolade, s’il était aussi sinistre… Allez savoir pourquoi, à chaque fois que j’ai le malheur de le lire, je pense à la ménopause…