It Follows, de David Robert Mitchell

 

Plutôt pour…

It Follows, de David Robert MitchellJay rencontre un garçon. Après avoir couché avec lui, celui-ci lui avoue qu’il lui a « refilé » quelque chose. Pas une maladie, mais une présence maléfique qui se rapproche doucement d’elle.

It Follows est un film qui divise. Enfin, qui me divise. Comme toujours dans ces cas-là, j’ai un débat avec mon doppelganger personnel ; lui hurle que non, vraiment, il y a quelque chose de pourri au royaume de David Robert Mitchell. Moi, je réponds d’une voix douce mais non sans ironie à ses arguments, et assure placer le film bien au-dessus des derniers films horrifiques visionnés. Ca met Pilopan (oui, c’est son nom, il est fan de Clerks) hors de lui :

Pilopan : – Mais c’est quoi ce film moralisateur ? On nage en pleine Amérique puritaine ! Sur un million de sujets de départ, le réalisateur choisit ça, ce n’est pas anodin et ça en dit beaucoup sur sa petite personnalité de petit bonhomme frustré ! Coucher sans sentiments, c’est dangereux, non mais n’importe quoi !

Moi : – Bon, déjà, t’aurais pu prévenir le lecteur que tu allais spoiler l’histoire. T’es vraiment dégueulasse. Sinon, calme-toi un peu : les films d’horreur sont rarement célèbres pour leur subtilité, c’est même souvent ça qui fait leur charme. Partir sur une relation sexuelle qui va mettre en branle un putain de cauchemar éveillé (parce que franchement, on oscille entre le réalisme le plus pur et le rêve), c’est pas une mauvaise idée. Depuis Halloween, le sexe est un incontournable du cinéma d’horreur.

Pilopan : – Sauf que dans Halloween, ça restait une métaphore !

Moi : – Une métaphore ? Arrête, tous ceux qui couchent se font tuer dans le film, sauf la virginale Jamie Lee Curtis ! Elle survit seulement parce qu’elle est pure ! Je veux bien dire tout ce que tu veux : que c’est une métaphore de la culpabilité, du danger de l’interdit, et même de la maladie avant l’heure… mais c’était pas beaucoup plus subtil et tout aussi puritain : le sexe hors mariage, c’est dangereux. Depuis, un paquet de films ont exploité cette veine, soit directement comme Teeth, Jennifer’s Body ou Scream – avec humour et déférence en prime -, soit simplement en rappelant l’importance de la relation sexuelle dans ce type de film.

Pilopan : – Alors l’idée que si les ados couchent ils vont attraper une saloperie – ici un démon -, toi ça te gêne pas ?

Moi : – Je dis pas que je ne tique pas un peu, mais les Zombies ont déjà filé la métaphore de la MST. C’était beaucoup plus politisé, ok, mais encore une fois il n’y a rien de nouveau. Soit on décide d’être systématiquement critique, et bien sûr qu’on peut voir dans It Follows un appel au sexe « réfléchi » chez les adolescents : d’ailleurs la scène de fin laisse effectivement supposer que le sexe pratiqué avec amour va les sauver… soit on décide d’être naïf et innocent, et on se laisse prendre la main par le réalisateur. On accepte le postulat.

Pilopan : – Et donc, toi, tu es naïf et innocent ?

Moi : – Pas forcément. Là où je veux en venir, c’est qu’à moins d’avoir l’occasion de discuter avec David Robert Mitchell, je lui laisse le bénéfice du doute. Et j’ai adoré tellement de choses dans le film… On fonce tête baissée dans quelque chose qu’on connaît : un démon visible seulement par les « porteurs » de la malédiction, et une relation sexuelle finale entre Jay et Paul qu’on pressent depuis le début. Ca cloisonne le film, et le réal le sait forcément ; pourtant il ne se démonte pas et offre ces deux séquences avec une classe et une efficacité que je n’avais pas vues depuis un moment.

Pilopan : – Oui, enfin le gars qui se fait projeter en l’air par quelque chose d’invisible, c’était un peu grotesque…

Moi : – Il fallait forcément passer par cette scène pour que l’intrigue avance ; il l’a fait au bon moment, c’est une séquence très très courte et pourtant elle donne un second souffle au film. Après ça, j’ai eu parfois l’impression d’assister à du Joe Dante, avec le même génie et la même tendresse pour les ados qui bricolent des solutions ! Je dis « bricole », parce qu’on sait bien que ça ne va pas marcher, mais c’est l’intention, la force de la jeunesse ! C’est magnifique ! Les quelques défauts du film quant à la morale, je les oublie volontiers parce que formellement, j’ai été scotché. Les effets visuels avec les plans-séquences tournoyants, la musique grave en sourdine qui résonne dans les oreilles…

Pilopan : – Ca aussi, ça vient d’Halloween. La musique eighties qui vient appuyer, noircir l’image, et le « monstre » qui avance inexorablement vers sa victime…

Moi : – Grave ! Mais c’est une référence, un hommage ! Le metteur en scène de It Follows ne vole rien à John Carpenter, il relance plutôt le genre du survival à ciel ouvert. Tout comme il pioche par exemple chez Wes Craven la bonne idée d’une séquence d’ouverture du tonnerre… C’est facile de se dire qu’on va faire ça pour que tout le monde rentre immédiatement dans le film, mais c’est souvent difficile à mettre en scène, ensuite… Là, c’est parfait ! Les premières minutes sont totalement anxiogènes, puis ça continue tout du long. Je parlais d’onirisme tout à l’heure, parce que le film est parfois – volontairement – lent, et pourtant on ne perd jamais ce sentiment d’urgence et de danger. Sans aucun recours aux artifices habituels de l’héroïne qui chute et se casse la cheville, ni aux jumping scares inutiles ! Il n’y a simplement pas d’échappatoire. « Ca » nous suit. Même le titre est bien trouvé !

Pilopan : – Bon, j’abandonne, de toute façon t’as réponse à tout… T’as pas été payé par le producteur, au moins, pour dire toutes ces conneries ?

 

Plutôt contre…

It FollowsPour son entrée dans le cinéma de genre, David Robert Mitchell fait appel aux maîtres : Halloween, Amityville, L’Exorciste, Ring, Frankenstein… Ils sont venus, ils sont tous là. Mais dans une certaine confusion, entre incohérences scénaristiques et montée en tension artificielle (mettre la musique fort ne suffit pas toujours). Avec cette malédiction sexuellement transmissible (on voit des gens qui nous suivent), David Robert Mitchell délivre un discours puritain. Si le sexe inconsidéré est toujours plus ou moins lié à une mort violente dans d’atroces souffrances (règle n°1 édictée par Randy dans Scream), on espérait que 40 ans après les premiers slashers, la morale ait un peu évolué…
(Maid Marion)

It Follows de David Robert Mitchell, avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Daniel Zovatto, Lili Sepe… Etats-Unis, 2014. Prix de la critique du 40e Festival du film américain de Deauville. Sortie le 4 février 2015.