Le Festival du film fantastique de Gérardmer, Hideo Nakata le connaît bien : venu tour à tour pour recevoir une récompense (Dark Water en 2002) et pour en remettre (il est président du jury en 2006), il y est encore lors de cette 20e édition pour présenter The Complex. L’histoire d’Asuka, hantée par un fantôme, signe le retour du réalisateur japonais à ses thèmes de prédilection et à ses premières amours. L’occasion pour nous de lui poser quelques questions entre deux projections.
Derrière sa façade de film d’horreur, The Complex traite des relations humaines, de la vieillesse et de la solitude… Ce sont des thèmes forts au Japon ?
Le Japon est actuellement confronté à un important problème : le vieillissement de sa population. De moins en moins d’enfants naissent, il y a donc de plus en plus de personnes âgées. En France, vous avez en moyenne deux enfants par couple ; à défaut de rendre la population plus jeune, ça permet au moins de conserver un équilibre. Au Japon, on a en moyenne 1,3 enfant par couple. Inévitablement, la population diminue et la pyramide démographique s’inverse. Comme dans The Complex, il arrive fréquemment que des personnes âgées, qui vivent seules, soient découvertes plusieurs semaines après leur décès. Mais la solitude ne se rencontre pas seulement chez les vieillards, puisque Asuka [l’héroïne de The Complex, ndlr] mène elle-même une existence très isolée. Elle pense vivre encore avec sa famille, ce qui n’est pas le cas. Ce sentiment de solitude, présent chez Asuka et chez le vieil homme, permet au fantôme de The Complex de tirer avantage de la situation. Il y a un fossé entre eux et la réalité extérieure : ils sont incapables de lier connaissance avec d’autres personnes, c’est pourquoi ils deviennent amis avec cet étrange garçon.
L’amitié entre un fantôme et une jeune femme, c’est le point de départ de The Complex ?
Pour le développement de l’histoire, j’ai été beaucoup influencé par le film Morse de Tomas Alfredson, qui raconte l’histoire d’une fille vampire et d’un garçon martyrisé par ses camarades. C’est une histoire de vampires, mais ce qui est intéressant c’est que la solitude du garçon, ses problèmes à l’école constituent des facteurs qui lui font rechercher la compagnie de quelqu’un de différent. La fille aussi veut être amie avec lui, même davantage, mais cet amour ne peut évidemment pas être réel. C’est ce que je voulais faire avec The Complex : une histoire d’horreur triste.
Le film raconte aussi le lent glissement vers la folie, symbolisée par le fantôme du garçon…
Asuka aimerait être avec sa famille et avec le petit garçon pour toujours. C’est ce qu’explique l’exorciste dans le film. Le fantôme du garçon ne veut pas simplement vivre dans l’appartement d’Asuka, il veut la suivre partout où elle va, c’est-à-dire qu’il veut être dans sa tête. Asuka essaie d’aller de l’avant, de maîtriser ses émotions, même si elle a toujours des hallucinations et croit continuer de vivre avec sa famille. Mais à la fin, des choses horribles arrivent réellement, et elle se trouve piégée dans le temps, comme si elle avait toujours 10 ans, juste avant qu’elle ne prenne le bus avec sa famille. Elle devient folle, mais au moins, elle est enfin heureuse. Cette sorte de folie est possible parce qu’il y a une blessure psychologique au départ, dont le fantôme peut tirer profit.
Mais Asuka résiste et n’ouvre pas la porte au fantôme…
Effectivement, le fantôme n’a pas pu prendre sa vie, mais le choc qu’elle a ressenti l’a définitivement anéantie… Je pense que nous avons tous des blessures au fond de nous, une sorte de folie rampante qui ne demande qu’à sortir. Ce sont ensuite les fragilités de chacun et les situations qui permettent de la contrôler ou non.
Ring était un pur film d’horreur, Dark Water s’en écartait déjà pour traiter d’autres problématiques, et The Complex semble se situer quelque part entre les deux… Est-ce un film d’horreur ou un drame ?
On peut dire qu’il s’agit d’un film d’horreur avec des éléments dramatiques, ou on peut dire qu’il s’agit d’un drame psychologique avec des parties horrifiques… En général, je ne m’occupe pas trop de ça. Il y a des choses effrayantes, alors bien sûr, c’est de l’horreur, mais je n’imagine pas faire un film d’horreur sans intensité dramatique. Les deux sont liés. Je crois que je ne pourrais pas raconter une histoire sans y ajouter de l’émotion et des situations dramatiques.
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Cette année, le Festival présente beaucoup de films mettant en scène des enfants. Mais le résultat est souvent décevant, parce que c’est difficile de demander à un enfant de jouer comme un adulte. Comment faites-vous pour que dans vos films, les enfants soient toujours parfaits ?
Ah, merci… Pour chaque film, je vois énormément d’enfants, je fais passer beaucoup d’auditions. J’essaie toujours d’être le plus attentif possible aux enfants pour faire le meilleur choix. Il y a deux conditions minimums à remplir : l’enfant doit être très intelligent et très sensible. En l’occurrence, pour The Complex, je n’ai pas vu tellement d’enfants, mais Kanau Tanaka, dès que je l’ai vu, j’ai su qu’il serait parfait. Il n’a pas essayé de me charmer comme les autres ; il était tranquillement assis et m’a dit : « Si tu me choisis, j’accepte, si tu ne me choisis pas, ça me va aussi. C’est à toi de voir. » En plus d’être très intelligent, il est très patient. Pour la scène finale, lorsqu’il est attaché en haut du mur, retenu par un harnais, le tournage a duré plus de deux heures, et il n’a pas eu peur, il est resté calme tout le temps… Ce n’est pas facile de jouer avec des enfants acteurs, notamment parce que le tournage ne peut pas durer très longtemps, mais j’aime ça. En général, les enfants sont doux et fragiles, ce qui plaît toujours aux spectateurs, mais dans The Complex, c’est complètement l’inverse, le garçon doit faire peur !