La première mouture de cette critique était axée sur le cinéma indépendant américain et se posait la question de savoir s’il était tombé de grâce auprès de la critique française. En rappelant quelques-uns des clichés de ce cinéma et en concluant sur un clin d’œil humoristique grâce à la vidéo Not Another Sundance Movie !, l’auteur y préparait le terrain pour relativiser son appréciation du film dont il est question ici. Il était même question de la campagne publicitaire française, du titre choisi (States of Grace : un clin d’œil à la série The United States of Tara ?) et de la couleur de l’affiche, rappelant Little Miss Sunshine. Trop d’indé, tue l’indé ?
Mais il se trouve que Short Term 12 (States of Grace en VF) est simplement désarmant. On peut lui reprocher de cumuler tous les clichés d’un film indé US, du film Sundance par excellence (alors qu’il n’y a pas été présenté, mais a concouru à SXSW, autrement plus cool, branché, et intéressant…), c’est-à-dire une « coming of age story », un personnage trentenaire qui doit faire face aux démons de son adolescence au contact ici avec une ado en crise, une caméra tremblotante au plus près des personnages, de la lumière naturelle, des airs de guitare et… des hommes barbus en chemises à carreaux. Tout cela est dans Short Term 12. Et pourtant, il se dégage du film une sincérité, une bienveillance qui mettent à mal le cynisme critique que l’on peut ressentir.
Ecrit par le réalisateur qui a lui-même travaillé dans un foyer pour jeunes ados en difficulté, le film est empreint d’un côté « documentaire » saisissant. Les histoires de ces jeunes, leurs parcours et trajectoires différentes sont très bien esquissées. C’est aussi un des aspects les plus intéressants de ce film : certains enfants sont là pour quelques semaines, d’autres resteront finalement des années, mais jamais au-delà de leurs 18 ans. Le transitoire, la douleur qui est de passage mais imprime de son intolérable force les rapports humains, il y a de tout cela dans le film. Le personnage de Grace les accueille, les entoure, essaye de les comprendre, de les aider du mieux qu’elle peut. Mais, à la rencontre d’une jeune fille la renvoyant à ses propres blessures, son monde vacille et elle se voit incapable de maintenir la barrière qu’elle a érigé entre elle et les autres. Et surtout entre elle et son compagnon.
Un schéma somme toute classique mais toujours efficace, surtout quand il est porté par de bons acteurs. Pas de fausses notes dans le casting, les ados sont tous très bons et le groupe d’éducateurs est parfait. Brie Larson, qui interprète Grace, compose un personnage complexe, tout en intériorité avec une sincérité et une fraîcheur admirables. La femme-enfant qu’elle incarne respire la sincérité et l’engagement, on a du mal à croire qu’elle n’est pas exactement la même dans la vie de tous les jours…
Un bémol que l’on pourrait émettre est le fait que l’on sente un peu trop le scénario. Il y a un côté très écrit au film, dans le déroulement des péripéties, dans la constellation des personnages qui se répondent et fonctionnent en miroirs. Un défaut de premier film, qui n’est pas sans ajouter – de manière étonnante – une dimension extrêmement attachante… Destin Cretton, ne pouvant pas dédier un documentaire à ces centres particuliers, car il y est strictement interdit de filmer, a voulu rendre un hommage au travail de ces gens dévoués, aux souffrances des jeunes qui y circulent ; en ressort un film réfléchi, pensé et nostalgique.
Dans sa mise en scène, le réalisateur joue de l’utilisation des plans serrés et des plans larges pour enfermer ou faire respirer les personnages. L’utilisation des espaces extérieurs est particulièrement remarquable, notamment les scènes (brèves mais intenses) de Grace à vélo. Elles sont le seul moment où elle est seule, ni au travail, ni avec son compagnon, et même dans ces instants on la sent oppressée, en lutte avec elle-même.
Le film démarre et se clôture sur une scène similaire, qui aura bien sûr deux sensations différentes. Cette construction cyclique fait pleinement sens par rapport au quotidien des personnages. Ce centre est un milieu qui est à la fois statisme et mouvement, doté d’une énergie particulière : il ne se passe rien et puis soudainement, c’est l’explosion, les sentiments exacerbés ne peuvent plus se contenir et il faut agir, suivre, ne pas être intrusif mais compatissant, accepter l’autre, se faire accepter… Grace, bloc de douleur au sein d’un océan de souffrances auquel elle essaye pourtant d’apporter du soulagement, est un personnage émouvant car sa difficulté de parler, de s’ouvrir n’est jamais aussi flagrante que lorsqu’elle réussit à « lire » cette adolescente qui lui ressemble tant. Cette histoire est celle d’une acceptation, accepter son passé et celui qu’on devient pour accepter un jour de donner à d’autres, à ses propres enfants. A un moment donné il faut s’ouvrir et se laisser aller, accepter l’énergie, ne pas se noyer mais comprendre le courant et s’y abandonner – à l’image de la dernière scène. De toute façon, le quotidien revient toujours à la charge et entraîne dans son lot une nouvelle histoire, une autre course vers le passage à l’âge adulte…
Short Term 12 est un film touchant, très juste et profondément émouvant. Sa simplicité et son regard sincère pour les personnages qui l’habitent font beaucoup de bien, surtout parce que tout cela se ressent et n’est pas asséné à travers des discours professoraux sur l’humanisme. Comme lors de cette scène où un jeune homme fait écouter son dernier morceau de rap au compagnon de Grace et qu’au fil du flow se dessine l’histoire d’une enfance bafouée, sacrifiée. La caméra reste sur le jeune homme en gros plan, parfois il devient flou et jamais elle ne le lâche… Comme ces éducateurs qui auront toujours foi en ces jeunes et ne lâcheront rien.
Bref, un grand « petit » film.
Le DVD de States of Grace est une formidable occasion de découvrir ce petit bijou de film indépendant. Les bonus de l’édition DVD / Blu-ray retranscrivent parfaitement la sensibilité de la mise en scène. Un making of de simple facture nous permet de nous balader dans les coulisses du tournage. Tout y est naturel : la lumière, les scènes captées, les comédiens qui se livrent sans fard à l’interview de règle, souvent sans intérêt, mais qui offre ici de jolis moments et des témoignages authentiques. C’est comme pendre part à la fête de famille d’un ami, on a l’impression d’entrer dans un sanctuaire privé et festif.
Des scènes coupées permettent d’apprécier le travail de montage, la nécessité d’élaguer certains propos, certaines actions pour mieux faire ressortir l’essentiel.
Une simple et belle édition pour un film lumineux qu’on a envie de défendre jusqu’au bout, pour que son nombre d’admirateurs ne cesse de grandir…
States of Grace (Short Term 12) de Destin Cretton, avec Brie Larson, John Gallagher Jr., Kaitlyn Dever… Etats-Unis, 2013. Sortie le 23 avril 2014. Sortie DVD le 17 novembre 2014.