Le choix de July
July Jung est une nouvelle venue dans le cinéma coréen. Elle réalise A Girl at my Door, un premier long-métrage beau et touchant. Une histoire de salut et de renaissance sur fond d’intrigue policière. Pour une fois qu’une femme émerge de la Nouvelle Vague coréenne, on en profite pour lui poser quelques questions sur la représentation de sa figure féminine, incarnée par la délicate actrice Bae Doona.
Pourquoi avoir choisi de faire du personnage de Young-nam une lesbienne ?
J’ai fait trois courts-métrages dont les personnages principaux étaient des hommes. Pour mon premier long-métrage, je voulais un personnage féminin, tout simplement parce que je suis une femme et que c’était plus simple pour moi de rendre les émotions de mon héroïne. En ce qui concerne son homosexualité, je voulais qu’elle soit très solitaire et qu’elle ne puisse pas nier la cause de cette solitude, aussi son identité sexuelle devenait une évidence.
C’est difficile d’être homosexuel en Corée du Sud ?
Je ne peux pas vraiment le dire, parce que je ne le suis pas. Etre homosexuel, je crois que c’est dur partout dans le monde, mais c’est sûrement encore plus dur en Corée, parce que là-bas on n’accepte pas la différence.
Seule une femme pouvait prendre soin de Dohee ?
Un homme pourrait aussi, mais ça n’aurait pas été le même film ! Ce qui m’intéressait c’était la rencontre de ces deux individus solitaires, et pour que ça prenne la forme que je souhaitais il était nécessaire que ce soit deux femmes, ça n’aurait pas marché avec quelqu’un de l’autre sexe.
Le choix de Bae Doona pour incarner Young-nam était évident ?
Pendant l’écriture du scénario, je n’ai songé à aucune actrice particulière, mais dès que nous sommes arrivés à la phase de production, j’ai immédiatement pensé à Bae Doona, c’était mon premier choix. Certains réalisateurs écrivent un rôle pour un acteur, pour moi c’était l’inverse. J’ai d’abord imaginé mon personnage, et j’ai eu l’extraordinaire chance qu’il soit incarné à la perfection par Bae Doona.
Le film policier est surtout un prétexte pour s’interroger sur la notion de salut…
J’ai voulu que Young-nam soit policière parce c’est un métier très hiérarchisé, qui me permettait de mieux exprimer sa situation. Il y a une collision entre sa fonction et son identité sexuelle. Dans le film, on voit Young-nam exercer son métier, ce qui relève effectivement du genre policier, mais ce n’est pas le véritable sujet de A Girl at my Door. Je voulais surtout montrer comment deux personnes peuvent partager des sentiments et surmonter leurs décisions.
L’amour peut sauver ?
L’amour a plusieurs facettes… A cause de l’amour que Dohee éprouve envers Young-nam, celle-ci se retrouve dans une situation délicate. Mais l’amour permet aussi de partager plein de choses, et de sauver quelqu’un comme Young-nam sauve Dohee. En fait, la notion de salut est un peu trop forte : on ne peut pas dire que Dohee et Young-nam ont trouvé le salut. Elles rencontreront peut-être de nouvelles difficultés plus tard. Mais jusque-là, Young-nam avait accepté toutes les injustices de la société, et à la fin de A Girl at my Door elle va changer sa manière de vivre. C’est ce que je voulais montrer.
A la production on retrouve Lee Chang-dong, un autre réalisateur dont les personnages sont souvent féminins. Vous vous sentez proche de son cinéma ?
Lee Chang-dong est l’un des meilleurs réalisateurs du monde ! J’ai vraiment eu énormément de chance de l’avoir comme producteur. Secret Sunshine, Poetry et surtout Oasis sont des films magnifiques, sa manière de raconter des histoires et de montrer les sentiments de ses personnages m’a beaucoup influencée. J’adore son univers, et je m’en suis beaucoup inspirée pour mes propres personnages.
A Girl at my Door de July Jung, avec Bae Doona, Kim Sae-ron, Song Sae-byeok… Corée du Sud, 2014. Présenté en sélection Un Certain Regard au 67e Festival de Cannes. Sortie le 5 novembre 2014.