Qu’est-ce que c’est, dégueulasse ?
Que le Grand Prix de la Semaine de la critique, dont le jury est présidé par Andrea Arnold, réalisatrice notamment de Red Road, soit décerné à un film radical n’a rien d’étonnant. Qu’il récompense un film qui met en scène la prostitution comme une sortie en boîte, et, en longs plans-séquences fixes, avortement, viol et meurtres, est plus dérangeant. Myroslav Slaboshpytskiy propose certes un dispositif intrigant : filmer des jeunes sourds-muets, qui s’expriment, donc, en langue des signes, sans sous-titres ou voix off. Inverser les rôles et mettre le spectateur en situation de handicap. Ok, pourquoi pas. Mais la surdité, ou même plus généralement l’incommunicabilité ne sont jamais des sujets abordés par le film. Dès lors, on s’interroge sur la portée et l’intérêt d’un exercice qui ne dépasse jamais la posture. C’est plutôt une histoire simple, simpliste même, que le réalisateur est obligé de mettre en scène, contraint par les limites qu’il s’est imposées : que seuls les corps s’expriment, de manière primaire. Soit un groupe d’étudiants d’un internat pour sourds qui trafiquent, volent, agressent et prostituent leurs camarades. L’un de ces jeunes, au départ plutôt introverti, tombe amoureux d’une des jeunes filles qu’il prostitue, et le film prend une tangente détestable. Soi-disant amoureux, il continue cependant de payer la jeune fille, pour des séquences de sexe, puis de viol, filmées en intégralité, en plans fixes. Enceinte, elle avorte, sur le rebord d’une baignoire, à l’aiguille. Là encore, plan fixe en temps réel. Mais Myroslav Slaboshpytskiy, qui à ce stade du film a déjà montré l’étendue et les limites de son dispositif, ne dénonce rien. Il se contente de contraindre le spectateur, qu’il a volontairement laissé à l’extérieur de son film, à assister à des atrocités sans aucune empathie, sans susciter de colère ou de révolte. Il n’inspire finalement que du dégoût, pas pour les situations qu’il dépeint, mais pour sa démarche, vaine et tape à l’œil.
The Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy, avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova, Alexander Dsiadevich… Ukraine, 2014. Grand Prix Nespresso, Prix Révélation France 4 et lauréat de l’Aide de la Fondation GAN à la diffusion de la 53e Semaine de la critique.