Nuri Bilge Ceylan signe une œuvre réjouissante, à la beauté époustouflante et aux personnages aussi détestables qu’attachants. Winter Sleep, c’est son nom, est le septième film du cinéaste turc, sorti ce 6 août 2014 et auréolé d’une Palme d’or au 67e Festival de Cannes. Il s’inscrit dans la lignée de ses précédents longs-métrages, mais magnifie son travail en gommant une propension au suresthétisme et en rendant Winter Sleep nettement plus dynamique et bavard – dans le bon sens du terme – que ses prédécesseurs. Les personnages de Winter Sleep sont d’ailleurs bien plus portés sur le dialogue que leur réalisateur, qui choisit ses mots avec économie… même en interview.
Au gré des réalisations, vous avez reçu des récompenses de plus en plus prestigieuses : vous sentez une progression dans votre mise en scène ?
Je ne peux pas vraiment vous dire s’il y a un progrès dans mes films, mais je suis conscient qu’un changement s’opère au fur et à mesure.
Certains ont reproché à Il était une fois en Anatolie d’être un film trop long, mais Winter Sleep est encore plus long de presque une heure…
Je ne savais pas que ça allait être comme ça… Ce n’est pas quelque chose que je peux savoir dès le début, et je ne veux pas faire des films prévisibles, ni pour le spectateur ni pour moi-même. Je pourrais réaliser un film beaucoup plus long. C’est un point positif de réaliser des films d’art et essai, ça permet de se sentir assez libre de ne pas rentrer dans les contraintes d’un cinéma commercial.
Vous ne saviez pas au moment de l’écriture combien de temps allait durer votre film ?
Je ne le sais jamais en avance ; je m’en rends compte pendant l’écriture seulement. Par exemple pour Winter Sleep, quand j’ai fini le scénario, on s’est rendu compte que ça allait être un film long parce que le scénario faisait deux fois la taille de celui d’Il était une fois en Anatolie, qui était déjà un film de deux heures et demi. Et là on s’est dit que le film allait être encore plus long, mais on n’a pas fait attention, on a tourné ce qu’on voulait tourner. Pour moi ce n’est pas important la durée du film, ç’aurait pu être plus long encore.
On pense à Anton Tchekhov et à Ingmar Bergman : ce sont des influences conscientes ?
Pour Tchekhov, oui, tout à fait, puisque le film est librement inspiré de trois de ses nouvelles. Nous avons beaucoup changé l’histoire, ajouté des choses, mais certains de ses dialogues ont été réutilisés sans aucun changement. Quant à Ingmar Bergman, c’est un réalisateur que j’aime beaucoup, bien sûr, mais je n’ai pas particulièrement pensé à lui en faisant ce film. Mais bien sûr, dès qu’on voit de longs dialogues entre les membres d’une famille ou des couples, ou alors des règlements de comptes, dans l’histoire du cinéma on pense forcément à Bergman. En revanche, dans mon style, dans ma façon de filmer, je ne pense pas qu’il y ait de lien avec le cinéma d’Ingmar Bergman.
Dans Winter Sleep, vous éprouvez plus de sympathie pour les femmes que les hommes ?
Je ne pense pas qu’il y ait un regard différent sur les femmes dans ce film-là, sauf que cette fois les femmes ont un plus grand rôle. Ce sont des femmes fortes, quand j’ai écrit leurs rôles je me suis inspiré de mon enfance : je vivais avec ma tante et ses deux filles qui étaient comme ça.
Peut-on rapprocher le couple des Climats de celui formé par Aydin et Nihal dans Winter Sleep ?
Oui, je pense effectivement que le couple des Climats et celui de Winter Sleep se ressemblent, mais dans Les Climats je racontais les moments silencieux de la vie beaucoup plus que dans Winter Sleep. Winter Sleep est un film très dialogué, à tel point qu’au moment de l’écriture nous nous demandions si le spectateur accepterait des dialogues très littéraires, très théâtraux… Mais malgré tout, je crois que ce que je raconte dans les deux films est assez semblable. En même temps, le propre point de vue du spectateur modifie également le sens de l’histoire.
Quel type de spectateur êtes-vous ?
J’aime bien les films avec des valeurs morales, c’est-à-dire qui nous laissent face à des valeurs morales ou qui nous poussent à y réfléchir. J’aime aussi les films où il y a un affrontement, c’est ce qui m’intéresse.
Winter Sleep (Kış Uykusu) de Nuri Bilge Ceylan, avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbağ… Turquie, 2013. Palme d’or du 67e Festival de Cannes. Sortie le 6 août 2014.