Le Génie du mal et Les 3 Crimes de West Memphis

 

Œuvres au noir

Avec 55 ans d’écart, Le Génie du mal de Richard Fleischer et Les Trois Crimes de West Memphis d’Atom Egoyan traitent d’une même problématique tout à fait universelle, à savoir user, ou pas, de la peine de mort contre les assassins d’enfants. Quel hasard que ces films si proches dans leur traitement sortent en quasi simultané ! Deux histoires qui prouvent que l’Amérique divisée bataille toujours et encore sur la question.
Alors, grand classique ou thriller hyper-tendu ? Les deux mon capitaine.

 
Les Trois Crimes de West Memphis, d'Atom EgoyanLes Trois Crimes de West Memphis réalisé par Atom Egoyan avec Colin Firth, Reese Witherspoon, Dane Dehaan…

West Memphis, 1993. Trois jeunes enfants sont retrouvés sauvagement assassinés. Trois adolescents marginaux sont arrêtés et accusés d’avoir commis un crime sataniste. Face aux incohérences du dossier, un célèbre détective privé, adversaire de la peine de mort, décide de mener sa propre enquête.
Atom Egoyan revient sur un fait divers qui en son temps a défrayé la chronique. Depuis quelques années, l’affaire fait l’objet de nombreux documentaires pour disculper les adolescents accusés des meurtres. D’après les dernières investigations menées par les avocats de la défense et l’Etat de l’Arkansas, le rapport officiel révèle : « Bien que presque tout le matériel génétique recueilli sur la scène de crime appartienne aux victimes des crimes, une partie ne peut être attribuée aux victimes ou aux accusés. »
Plus que la bataille engagée par l’avocat de la défense (interprété ici par le génial Colin Firth) pour éviter la peine capitale à l’un de ses clients, Atom Egoyan présente à la manière de Georges Simenon l’épouvantable qu’en-dira-t-on qui hante les petites villes. La rumeur se propage dans les rues, contamine les foyers, pervertit les esprits et se fixe sur les individus les plus fragiles ou les moins appréciés. La police du comté, qui ne cherche (et ne cherchera) pas plus loin que le bout de son nez, ne désire qu’une seule et unique chose, trouver le coupable idéal. Que la mort n’encombre pas trop longtemps les bureaux de vote. Les sales mômes conviendront.
Sur la forme, Les Trois Crimes de West Memphis ne paie pas de mine. Nul besoin de faire dans le tape-à-l’œil quand un réalisateur maîtrise son propos et ses images avec respect et sobriété autour de dialogues ciselés. Egoyan et son coscénariste (le très convoité Scott Derrickson) n’accusent personne, ils recontextualisent. Dans ce genre de fait divers, on n’est jamais surpris que les loups dorment à poings fermés dans la bergerie.
Le film mérite toute votre attention parce qu’il est absolument passionnant. L’interprétation est à l’avenant, c’est-à-dire de grande qualité.
Recommandé chaudement.

 
Le Génie du mal, de Richard FleischerLe Génie du mal réalisé par Richard Fleischer avec Orson Welles, Diane Varsi, Dean Stockwell et Bradford Dillman…

1924. Estimant que leur statut social et leur intelligence les placent au-dessus des lois, deux étudiants se livrent à plusieurs actes criminels et finissent par enlever et assassiner un jeune garçon. Certains d’avoir commis le crime parfait, ils sont trahis par un détail. Un avocat célèbre, adversaire de la peine de mort, décide d’assurer leur défense.
Le Génie du mal saisit d’effroi parce qu’il permet d’accompagner et de comprendre deux jeunes hommes de bonnes familles propres sur eux et que rien ne prédispose à devenir des tueurs dans leur délire de sauvagerie. Une sauvagerie calculée pleine de rancœur et d’amertume.
Judd Steiner et Artie Straus nourrissent une indéfectible haine contre la société et contre les autres. Un dégoût si puissant qu’ils se sentent au-dessus de tout, persuadés que leurs meurtres ne peuvent être découverts par une police embarrassée d’idiots et encore moins condamnés par une justice tellement inférieure à leurs esprits géniaux.
Le génie du mal se tapit au fond du cœur. C’est une mauvaise force qui tenaille, qui blesse, qui rend fou. Mais ceux-là ne sont pas fous. Leur âme est noire. Avant que les deux salopards tuent le jeune innocent, nous pouvons ressentir une certaine pitié. La pitié pour le Mal qui s’incarne, force si faible et si lâche face au pouvoir de l’altruisme, siège de la volonté où l’amour et la sagesse posent leur divin séant.
C’est à ce moment qu’intervient Orson Welles en avocat de la défense, persuadé que condamner ces deux idiots à la potence ne réglera rien. Jonathan Wilk tente à coups de joute verbale d’affaiblir le ressentiment général qui pourrait s’emparer de la société et l’empoisonner durablement. On n’échange pas la haine contre la haine. Le combat contre la peine de mort se gagne quand la société convainc les citoyens de ne pas ajouter de la sauvagerie à la sauvagerie.
Le Génie du mal ne donne aucune leçon de morale. Son tableau d’une jeunesse qui conchie ses aînés fait froid dans le dos. Les deux étudiants ne se rebellent pas, ni ne donnent le fameux coup de pied dans la fourmilière qui doit libérer la nouvelle génération de l’oppression des anciens. Croyons-nous. Ils se gavent de leur propre ego comme deux êtres immatures rongés par le Mal.
Le Génie du mal est un film profondément humaniste.
Prix d’interprétation à Cannes en 1959 pour Orson Welles, Dean Stockwell et Bradford Dillman.
Dans les bonus, un document revient longuement sur l’affaire.

 
Les Trois Crimes de West Memphis et Le Génie du mal disponibles en DVD et Blu-ray chez Rimini Editions.