C’était l’un des films sensations de la Semaine de la critique. Gabriel e a monanha y a d’ailleurs obtenu deux prix ce jeudi 25 mai, le prix Révélation France 4 et le prix Fondation Gan. Son réalisateur, Felipe Barbosa, revient sur la genèse de ce projet ambitieux où il fait revivre son ami d’enfance, Gabriel Buchmann, tragiquement disparu au Malawi, en faisant se télescoper fiction et réalité.
Alors, quelle réaction face aux deux prix que vous venez de remporter ?
J’étais bouleversé, très fier. C’est spécial pour moi d’être reconnu par un tel jury que je remercie encore. Et puis j’ai beaucoup aimé le film qui a obtenu le Grand Prix, Makala. Il y a un pont entre nos deux films qui commencent et se terminent par une prière, où l’Afrique est mise en avant. De manière plus verticale, peut-être… Et puis pour le Brésil, c’est formidable, car je ne crois pas qu’aucun film brésilien n’avait obtenu un tel prix auparavant. C’est une vraie joie pour moi, ça va nous aider pour une distribution en salles en France. Vive la France !
D’ailleurs, vous parlez très bien français…
Ma mère était prof de français. Elle était aussi la prof de Gabriel d’ailleurs, avec qui j’ai grandi.
Pourquoi revenir sur l’histoire de cet ami justement, Gabriel Buchmann ?
Parce que j’ai fini par comprendre la joie qui transparaissait de cet e-mail qu’il a envoyé à sa famille et ses amis quand il était en Ouganda et qui a été divulgué et bien relayé par la presse brésilienne au moment de sa disparition, quand les recherches pour le retrouver ont commencé. Je suis allé en Ouganda en 2011, justement, et je m’y suis senti tellement heureux que je ne voulais pas en repartir, j’ai changé plusieurs fois mon billet retour. Lui aussi avait eu cette même volonté inconsciente de rester là pour toujours. Je me suis alors dit que je pouvais m’approprier cette histoire qui avait bouleversé beaucoup de monde au Brésil. C’était une histoire avec beaucoup de questions, de mystère, une histoire très cinématographique. Il y a aussi un côté spirituel, dans cette mort tragique. Gabriel mangeait tellement la vie que je suis sûr qu’il ne pensait pas qu’il allait mourir, que son esprit ignorait qu’il était mort. Il n’a pas eu la chance de se préparer pour cette rencontre tragique. Ce film peut peut-être l’aider à lui montrer ce qui s’est passé.
Pourquoi commencer le film directement par sa mort ?
Parce que c’est une histoire tragique, avec un destin fataliste et je voulais l’annoncer tout de suite, car il n’avait pas qu’un seul but, il voulait trop de choses en même temps. C’est difficile de faire un film comme ça, car normalement, on est attaché à un personnage qui n’a qu’une seule chose en tête. Or lui n’avait pas qu’une quête unique. En annonçant sa mort dès le début, ça amène le spectateur à se demander comment il en est arrivé là. C’était plus facile pour moi, en tant que narrateur. C’était une grande question avec mon coscénariste, car lui était contre cette idée.
Le film est un docu-fiction dans lequel les gens qui ont côtoyé Gabriel pendant ce séjour en Afrique revivent cette rencontre avec votre acteur principal. Comment les avez-vous retrouvés ?
Par des photos qu’il avait faites, des numéros de téléphone, son carnet, des e-mails où il décrivait les gens qui l’avaient marqué. Je savais donc qui étaient les personnes les plus importantes. Son ex-compagne aussi, Cristine, m’a été d’une grande aide, car elle a fait partie de ce voyage pendant quelques semaines. En 2015, je suis reparti sur les traces de Gabriel pendant presque quatre mois après ma première expédition en 2011, avec notamment ma femme et ma coproductrice. On a fait des repérages et des recherches. C’était difficile, car parfois je n’avais que des photos que je montrais aux gens. Mais il y avait plein de personnes que je voulais retrouver comme Lenny, le guerrier masaï, Luke le chauffeur routier ou Goodluck. J’ai fait le Kilimandjaro, le Kenya, la Tanzanie… J’ai fini par les rencontrer, même s’il y a eu parfois des fausses pistes. La plus belle histoire reste celle de Tony à Zanzibar, que Gabriel et Cristine n’ont connu que deux heures. Je ne l’avais pas trouvé, j’étais prêt à supprimer cette scène. Mais le premier jour que nous tournions à Zanzibar, la comédienne est tombée malade et alors que j’étais en train de réfléchir aux plans suivants, je vois un homme qui s’approche de moi, en train de pleurer et il m’a dit venir du Niger, qu’il connaissait Gabriel. Je pensais qu’il mentait et en fait non, c’était Tony. Une coïncidence envoyée par Dieu. J’ai alors tourné la scène qui ne faisait plus partie du scénario.
C’était difficile pour ces personnes de revivre ce qu’elles avaient fait avec Gabriel, mais avec un acteur de cinéma ?
Non, c’était un moment de joie pour eux. Vous savez, ils ont une vie très répétitive, là ils avaient l’opportunité de jouer, avec de beaux souvenirs en tête. Et là-bas, ils ont un rapport différent avec la mort, plus naturel. Ce n’est pas un grand tabou.
Quelle est la part de fiction, alors ?
Il y en a partout : j’ai beaucoup synthétisé pour la dramaturgie. J’ai donné plus d’importance à certaines choses. Et il y a des détails qui diffèrent. Par exemple, quand on montre la main droite plus faible de Gabriel, en fait, il s’agit de celle du comédien. Et puis Gabriel reste un narrateur avec un point d’interrogation. Peut-on faire confiance à tout ce qu’il a écrit ? Par exemple, il a dit certaines choses contradictoires par rapport à ce que les gens qu’il a rencontrés m’ont rapporté ensuite. A son guide du Malawi, il affirme par exemple que son visa va expirer le lendemain pour aller plus vite au mont Mulanje, alors qu’il semblerait que non.
Comment avez-vous choisi Joao Pedro Zappa ?
J’ai vu une quinzaine de comédiens, dont quelques non-professionnels. Mais je voulais quelqu’un avec une vraie technique et qui m’aiderait à me guider dans les scènes. Joao est un excellent acteur de théâtre, il est magnifique sur scène et il me rappelait Gabriel dans son regard, à la fois doux et profond. C’est son regard qui m’a conquis.
Y-a-t-il eu une grande préparation physique ? Ce qu’il fait est assez intense…
Pas vraiment, car il a été choisi quinze jours avant le tournage. Je l’ai fait travailler avec un professeur de capoeira. On a fait des exercices physiques, des randonnées notamment avec un masque pour simuler le manque d’oxygène… C’était un cauchemar pour Joao de monter le Kilimandjaro, c’était très dur pour lui, car c’est un garçon un peu fragile, mais je trouvais que c’était intéressant pour le personnage. D’autant que le Gabriel de mon enfance était comme ça, fragile, timide, observateur…
Au fur et à mesure du film, on découvre un autre Gabriel. Au début, on est très dans l’empathie avec lui, car il est toujours souriant et optimiste. Mais vers la fin, on découvre un autre visage, plus arrogant et prétentieux… Je ne voulais pas faire le portrait d’un saint, mais celui d’un vrai homme avec ses défauts. Il faut confronter ceux qu’on aime à leur part de noirceur. L’amour, ce n’est pas la caresse, c’est la confrontation et aimer l’autre quand même.
Vous avez montré le film à ses proches ?
Oui. A sa mère et ses sœurs. C’était très émouvant pour elles. Mais je sais que sa mère est plus légère, plus apaisée, depuis qu’elle l’a vu.
Le film fait aussi penser à Into the wild…
Oui, j’ai pensé à ce film, mais la différence c’est que Christopher McCandless voulait s’isoler du monde, dans une fuite très claire. Il voulait être seul dans la nature. Gabriel, lui, voulait être avec les gens et avait beaucoup de buts dans sa vie.
Gabriel e a Montanha de Felipe Barbosa, avec Joao Pedro Zappa, Caroline Abras, Luke Mpata… Brésil, 2017. Prix Révélation France 4 et prix Fondation Gan de la 56e Semaine de la critique. Sortie le 16 août 2017.