Chronique d’une mort annoncée
Dans le silence et la grisaille de l’hiver québécois, une voiture sort brusquement de la route pour aller s’encastrer dans des blocs de béton. Au volant, Simon. Mort sur le coup. Le début d’un deuil douloureux pour la famille – Simon laisse derrière lui un frère, une mère et un père dévastés – mais aussi pour les quelque 200 habitants d’Irénée-les-Neiges. Dans Répertoire des villes disparues, 11e long métrage de Denis Côté, le réalisateur canadien retrouve ses marottes. La perte, le deuil, l’isolement, l’ennui. Il filme la peur de l’autre et le repli sur soi d’une communauté villageoise au cœur d’un Québec rural à l’agonie. Repli sur soi face à la mort prématurée de l’un des leurs. Mais aussi face à la disparition inéluctable de leur village. Car la transformation du monde n’attend pas. N’attend plus. Elle est violente et irréversible. A moins de s’ouvrir rapidement à ce monde en mutation, les habitants d’Irénée-les-Neiges se condamnent à une mort certaine. Et leur commune, à devenir un village fantôme. « Village fantôme »… Denis Côté prend d’ailleurs l’idée à la lettre pour la figurer à l’écran à travers l’apparition de mystérieuses silhouettes. Des revenants immobiles et mutiques, anciens villageois de retour sur leur terre, rappelant à « ceux qui restent » leur devoir de réagir pour ne pas sombrer dans l’oubli. Revenants qui ne sont pas sans rappeler ceux de Robin Campillo ou de Fabrice Gobert.
Filmé en 16 mm, Répertoire des villes disparues est enveloppé d’un charme lugubre à l’étrangeté inquiétante. Une esthétique vaporeuse qui participe à la propagation quasi imperceptible d’une angoisse diffuse tout au long du récit. Sauf qu’il y a un hic, malheureusement. Si les âmes disparues sont de retour à Irénée-les-Neiges, le film semble en manquer cruellement. Passée l’immersion plutôt séduisante dans cet univers mélancolique, le récit finit par se désincarner peu à peu, et ce en dépit de la très bonne prestation collective du casting. Un écueil regrettable dû, peut-être, au non-choix de Denis Côté qui semble vouloir ménager la chèvre et le chou, tergiversant entre poésie désabusée et film quasi documentaire, façon Strip-tease. Une « hésitation » qui finit par nous sortir de la langueur cotonneuse et hypnotique initiale. C’est dommage tant les choix narratifs comme esthétiques s’avéraient au départ plus prometteurs. Mais Denis est passé à côté…
Répertoire des villes disparues de Denis Côté, avec Robert Taylor, Josee Deschenes, Diane Lavallée, Jean-Michel Anctil, Jocelyn Zucco… Québec, 2019. En compétition au 27e Festival de Gérardmer.