Beginners, de Mike Mills

 

Beginners, de Mike MillsDans un monde parfait, Beginners serait sorti en salle le lendemain de l’adoption par l’Assemblée d’une proposition de loi visant à ouvrir le mariage à tous les couples. Mais en fait non. A croire que la perfection n’existe pas, puisque ce Beginners non plus ne l’est pas tout à fait. Il faut dire qu’il y a Mélanie Laurent – ses détracteurs en auront pour leur compte : sans surprise, elle incarne une fois de plus cette jeune femme exagérément fraîche, spontanée et rieuse, mais sensible au fond – et un chien qui parle – mais que les allergiques à cet insupportable anthropomorphisme, dont je fais partie, se rassurent : il parle peu, et en sous-titres, un peu comme Milou aurait pu le faire.

Ceci dit, Beginners mérite le détour. D’abord, parce que le label Focus Features – la filiale d’Universal dédiée aux films d’auteurs à qui l’on doit entre autres Dans la peau de John Malkovich, Billy Elliot, Lost in Translation ou Le Secret de Brokeback Mountain – est souvent un gage de qualité, et peut faire oublier les a priori liés à Mélanie Laurent et à un chien qui parle (parce que dans un monde parfait, le législateur fait en sorte d’assurer l’égalité pour tous ET bannit à tout jamais les chiens qui parlent au cinéma) (d’ailleurs, la simple idée d’un langage animal pouvait faire hurler mon prof de philo. Qui a aussi été le prof de philo de François Bégaudeau. Qui a écrit un film qui a reçu une Palme d’or. Je dis ça, je dis rien, mais honnêtement, tout ça ne peut pas être insignifiant, si ?). Ensuite, parce qu’Ewan McGregor, lui, ne cesse de surprendre. Après les errements de Manipulations, The Island et autres I Love You Phillip Morris, on est heureux de le voir confirmer, un an après l’excellent The Ghost Writer, son entrée dans une quarantaine épanouie. Avec ses quelques rides bienvenues, il est revenu à une plus juste sobriété, débarrassé de tics, de trucs et de recettes.

Les tics et les trucs, par contre, Mike Mills en use. Et plutôt bien, finalement. La recette du cinéma d’auteur américain est graphique, faite de collages, témoin d’un certain recul du personnage-narrateur sur sa propre histoire. Dans Beginners, comme dans les derniers films avec Zooey Deschanel – symbole de ce cinéma –, la narration est rythmée par une voix off qui se fait énumérative. Et j’avoue que mon goût irrépressible pour les listes fait que je ne me lasse pas du procédé, teinté d’ironie et de décalage pertinent. Mike Mills raconte son histoire. Et celle de son père. Un homme qui, une fois veuf, décide de mener sa vie comme il aurait voulu le faire : en compagnie d’un autre homme. Un fils qui affronte la maladie et la mort qui le rattrapent peu de temps après. Beginners se tient dans cette double équation, ce double « début ». Ou plutôt ce double « après ». Comment on vit après avoir assumé ce qu’on est, comment on vit après avoir perdu son père, qu’on venait d’apprendre à connaître. Le film de Mike Mills, au fond, ne raconte rien. Il ne dénonce pas, ne milite pour rien, il constate. L’homosexualité du toujours brillant Christopher Plummer n’est pas un sujet. Il est une donnée parmi d’autres dans ce collage interrogatif : mon père est homosexuel, mon père est mort, je rencontre une fille, vais-je réussir à me laisser vivre, moi aussi ? Du jeu d’Ewan McGregor à sa mise en scène naturaliste, Beginners s’apprécie pour cette apparente simplicité, et se goûte comme un matin ensoleillé d’hiver, auquel il emprunte d’ailleurs sa lumière : à la fois plaisant, familier, inattendu et éphémère.

Beginners, de Mike Mills, avec Ewan McGregor, Christopher Plummer, Mélanie Laurent. Etats-Unis, 2010. Sortie le 15 juin 2011.