« Un jardin aux sentiers qui bifurquent »
G.L Borges
Après le coup de génie de Claude François (je ne pensais pas écrire cela un jour), repris par Frank Sinatra, crooner mafieux, dans un testament populaire qui touche du doigt l’universel, une nouvelle version de “My Way” prend place à Beaubourg. Plastique cette fois. L’institution accueille ce printemps la rétrospective « synthétique » de l’artiste plasticien français contemporain Jean-Michel Othoniel. Synthétique, pourquoi ? Parce que sa carrière est en plein développement vu que pour une fois, le Centre national d’art contemporain consacre une exposition à un artiste de moins de 80 ans. Individualisme assumé, vie d’aventure, beauté mélancolique du quotidien… il y en a aussi dans ce “My Way” feat Othoniel. Mais ici, le titre est à prendre surtout au pied de la lettre. L’ensemble inédit de 80 oeuvres retrace le chemin, voire le cheminement, d’un artiste solitaire et singulier.
Jean-Michel Othoniel, né en 1964 à Saint-Etienne, fait ses études à Cergy dont il est diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’arts en 1988 avant d’être pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1996. Artiste nomade, il aime parcourir le monde à la recherche de nouvelles techniques. C’est dans l’Italie des années 1990 qu’une vulcanologue lui fait découvrir l’obsidienne. Le mythe raconte qu’une fois poli, ce verre noir est le miroir de l’âme. Cette rencontre marque un tournant décisif de sa carrière. Auprès d’ingénieurs du Centre international de recherches sur le verre (CIRVA), il apprend à créer artificiellement ce matériau de prédilection.
D’abord utilisé pour réaliser des sortes de figures abstraites, mi-végétales mi-créatures marines (à vrai dire, qui ressemblent surtout à des préservatifs) de toutes les couleurs, le verre entraîne Othoniel dans l’univers du conte. Ses oeuvres deviennent féeriques puis monumentales. La douleur annoncée par des titres tels que Lágrimas ou Bateau de larmes, (il donne à un bateau de boat people acheté à Miami un mât digne des meilleurs contes de fées) est étonnamment transfigurée par la douceur du merveilleux. L’oeil est bercé aux couleurs et aux contours d’un monde imaginaire immémorial, empruntant son répertoire iconographique à l’enfance, aux récits chevaleresques, fantastiques, mythologiques. « Entre légèreté et féerie, Jean-Michel Othoniel crée un monde dans lequel le temps est arrêté », dira la commissaire de l’exposition Catherine Grenier.
L’exposition a le mérite de présenter les dernières oeuvres de l’artiste aujourd’hui bien connu pour sa version relookée de la station de métro Louvre-Rivoli, au regard de ses premiers travaux. Dans les années 1980, ses thématiques structurantes : la blessure, le souvenir, l’échec, l’importance de la lumière se jouaient avec de fragiles objets, papillons, allumettes, feuilles d’arbre, coquillages. Autant de fétiches inscrits dans la cire et le soufre, élément central utilisé parce qu’il ressemblait au mot souffrance. Le corps était démembré, monstrueux, réduit à des dizaines de tétons (Post-Tits) au regard scrutateur. Jean-Michel Othoniel a fondé son oeuvre sur un événement dramatique – tenu secret – dont une mystérieuse tenue blanche (Autoportrait en robe de prêtre) garde le souvenir à l’entrée de l’exposition. Genèse effrayante, donc, pour une oeuvre qui se déploie aujourd’hui dans des sculptures de perles gigantesques suspendues comme des colliers d’ogresse. Entre mathématique et poésie, l’art d’Othoniel prend de l’ampleur en évoluant vers l’abstrait et une rigueur minimaliste. “My way”, c’est l’histoire pas banale d’un homme de 46 ans qui réagit au réel en regardant du côté des fées.
Pour le plaisir :
Regrets, I had a few,
but then again,
too few to mention.
I did, what I had to do
…
I did it my way.
My Way, rétrospective consacrée à Jean-Michel Othoniel, du 2 mars au 23 mai 2011 au Centre Pompidou, galerie des Arts graphiques.