Après le succès du remarquable Une séparation en 2011 de l’Iranien Asghar Farhadi, voilà un petit film qui en dit long sur la condition et la difficile émancipation de la femme. Nous sommes cette fois en Egypte, à la veille des événements de la place Tahrir. Un premier long-métrage saisissant réalisé par Mohamed Diab, jeune cinéaste engagé, et produit par la chanteuse populaire Boushra qui interprète Fayza, le rôle principal. A l’origine, un fait divers. En 2008, pour la première fois une femme a porté plainte et obtenu trois ans d’emprisonnement pour son agresseur sexuel. Fiction et réalité vont très vite se confondre, et le film de jouer un rôle dans les mutations du pays puisque, depuis sa sortie en Egypte et son énorme succès, une loi sur «les harcèlements sexuels» a vu le jour (jusque-là on ne parlait que d’«agressions») et des procès ont fleuri. Un film utile donc, mais pas seulement. Un objet cinématographique brillant. Qui ne démontre pas et évite les écueils de la caricature.
Trois femmes, trois combats qui s’entrecroisent par une mise en scène ingénieuse. Trois destins réunis par un même refus de subir. Il y a Fayza, mariée, voilée, pauvre, qui, dans le bus, est victime d’agressions sexuelles quotidiennes. De la part d’hommes machos, grossiers qui jouent à «frotti-frotta», avec pour seule caution de leur bonne foi, le citron glissé dans leur poche pour masquer leur érection et leur vile pulsion. A bout, outragée dans sa condition de femme et d’épouse – elle ne veut plus que son mari la touche -, elle décide d’agir, d’abord seule. Poussée au départ par son instinct, elle préméditera ensuite son geste libérateur : piquer les agresseurs avec une aiguille là où ça fait mal : leur sexe. Seba, quant à elle, est plus libre, plus féminine, plus intellectuelle. Mais un jour, agressée lors d’une manifestation, elle se retrouve rejetée par son mari. L’infâme, c’est l’impuissance de l’homme à se mettre à la place de sa femme. Il se pose en bafoué, incapable de vivre avec la «souillure» de son épouse. Enfin, il y a Nelly. Elle est jeune, libre, rebelle (elle fait du stand-up). Après s’être fait violenter dans la rue, elle veut porter plainte. Elle ira au bout malgré la pression de ses proches qui le vivent comme un déshonneur.
Toutes les trois sont en lutte. Contre les hommes. Contre la société. Mais loin de la caricature, le réalisateur porte un regard lumineux et nuancé sur les maux qui ulcèrent son pays. D’une part, les femmes ne sont pas montrées comme un bloc soudé : toutes ne veulent pas s’émanciper, à l’image de la collègue de Fayza qui prend le bus pour s’offrir aux hommes et éventuellement trouver un mari. Certaines sont gagnées par le désir de se confier mais restent muettes lors des groupes de parole organisés par Seba. Quant à nos trois héroïnes, elles se comprennent, s’entraident, se jugent et se déchirent tour à tour. D’autre part, les hommes ne sont pas tous des gros dégueulasses. Ainsi, deux contrepoints sympathiques à la bestialité de la gent masculine : le flic, qui comprend et protège les femmes, même s’il ne fait rien véritablement pour les aider. Et le petit copain de Nelly, qui finit par la soutenir dans son combat. Enfin, au-delà des violences faites aux femmes, c’est toute la société égyptienne qui est passée au crible : le couple, la misère économique (présentée comme terreau des agressions, puisque sans boulot les hommes ne peuvent se marier et sont ainsi sexuellement frustrés), la fragile solidarité entre les femmes et leur douloureuse émancipation. Tout cela porté par une belle interprétation, des dialogues bien écrits et une bonne dose d’humour malgré la gravité du propos.
Les Femmes du bus 678 de Mohamed Diab avec Bushra Rozza, Nelly Karim, Nahed El Sebai, Omar El Saeed… Egypte, 2011. Sortie le 30 mai 2012.