Attention, film rare. Rare, non seulement parce qu’il est diffusé dans une poignée de salles, mais aussi par son propos. Et à l’heure où en France on brandit la sacro-sainte famille comme un étendard et on met au pilori la théorie du genre, un film américain sur une famille homoparentale on ne peut plus normale a de quoi être anachronique.
Car ici, on suit la vie quotidienne de Joey et Cody et de leur fils Chip (dit Chipmunk). Entre le travail, les courses, les goûters d’anniversaire, les fêtes en famille. Rien de passionnant de prime abord. Cette famille semble si naturellement soudée qu’à aucun moment (ou presque, on a quand même de bons yeux), on ne réalise qu’il s’agit d’un couple d’hommes. Il faut qu’un drame survienne pour que toute la portée d’In the Family prenne son envol. Cody, le père biologique de Chip décède suite à un accident de voiture. Et voici Joey et Chip seuls au monde, se consolant l’un l’autre de la perte de l’être qui leur était le plus cher. Mais ce ne sont que les prémices de leurs mésaventures : Eileen, la sœur de Cody, devient la tutrice légale de Chip et l’enfant passe désormais des bras de celui qu’il surnomme « Papou » à celui de sa tante. Et pour couronner le tout, Joey reçoit une injonction de la police lui interdisant de s’approcher de son ex-belle-famille, qui était pourtant si bienveillante à son égard.
Le film, de chronique familiale, se mue en film de procès, Joey tentant de gagner la garde de celui qu’il a élevé comme son fils, alors que la loi ne le reconnaît pas comme père… Patrick Wang, également acteur principal, après avoir observé de nombreuses familles homoparentales dont les droits sont peu protégés aux Etats-Unis, s’est décidé à réaliser ce premier film pour montrer une réalité pourtant évidente : un couple homosexuel peut très bien élever un enfant sans que celui-ci n’en soit perturbé, bien au contraire. Et pour ce faire, il a usé de délicatesse, de subtilité et de juste dosage des émotions. Le film n’est jamais lacrymal et évite toute scène qui pourrait en être potentiellement chargée. A aucun moment, pour montrer la normalité de la situation, le mot « homosexuel » (une insulte encore ici bas) n’est susurré. Tous admettent le couple Cody/Joey comme une évidence. Et le thème du film devient alors non seulement l’amour filial (ce ne sont pas les liens du sang qui prévalent, en démontre Joey, lui-même adopté), mais l’intérêt de l’enfant (ainsi que le statut du beau-parent) : vaut-il mieux être élevé par un père homosexuel qui vous aime et que vous aimez, même s’il n’est pas votre parent biologique ou par une famille qui ne connaît pas jusqu’à votre groupe sanguin ?
In the Family dure certes 2h50, mais ces dernières passent en un éclair. Entre scènes du quotidien où tous se retrouvent, flashbacks pour montrer comment l’histoire d’amour entre deux personnes qui n’y étaient pas destinées a pu voir le jour et incroyable scène finale à huis clos judiciaire où Joey tente d’argumenter son amour pour son fils, le film donne envie d’aimer, universellement. Que l’on soit homo ou hétéro, tout le monde peut s’y retrouver et le cœur serré, espérer que la justice, cette fois-ci, ne fera pas pencher la balance du mauvais côté. Un film non seulement rare : une œuvre indispensable.
In the Family de et avec Patrick Wang, avec aussi Sebastian Brodziak, Trevor St. John, Lisa Altomare… Etats-Unis, 2013. Sortie le 19 novembre 2014.