Blue Valentine, de Derek Cianfrance

 

Blue Valentine, de Derek CianfranceBlue Valentine, c’est 12 ans de gestation, 57 versions différentes du scénario, des faillites, des incendies, des décès… Un parcours digne du Lost in La Mancha de Terry Gilliam ! Et au final, il y a une double sélection en 2010, au Festival de Cannes (Un Certain Regard) et au Festival de Sundance. Une belle consécration pour le jeune réalisateur américain Derek Cianfrance qui signe là sa deuxième fiction.

Tragédie romantique. Portrait intime d’une relation amoureuse. Chronique d’un amour qui s’effrite… Blablablabla… Pas la peine de tergiverser trois heures sur le thème du film. Blue Valentine, c’est une histoire vieille comme le monde, celle d’un amour qui finit mal avec son lot de “pourquoi”, de “comment” et de “parce que c’est comme ça, alors tais-toi et nage”. Bref, on connaît la chanson. Et on la connaît tellement bien qu’on aurait bien envie de ne l’écouter que d’une oreille. Et pourtant… Je dis “merci” à Derek Cianfrance d’avoir su faire chanceler mes a priori. D’avoir su faire tituber mon p’tit cœur alors que je m’étais promis de ne plus me faire avoir par toutes ces conneries !

Et dire que certains ont osé la comparaison avec le très insipide (500) jours ensemble de Marc Webb ! Alors oui, Derek Cianfrance, comme Webb, reprend les codes bien connus du genre indie (caméra au point, image brute, BO pop-folk) mais, chez lui la mise en scène est brillante et le duo d’interprètes, exceptionnel. A ma droite, Ryan Gosling (Dean) en beau parleur attachant et imprévisible. A ma gauche, Michelle Williams (Cindy), décidément très inspirée, en jeune femme secrète aux apparences fragiles. De la maladresse délicieuse et insouciante de leur première rencontre au déchirement de leur séparation inéluctable, le cinéaste filme avec une simplicité bouleversante leurs errances amoureuses. Entre passé et présent, lumière et obscurité. Entre coups d’éclat et fêlures. La caméra toujours tremblotante, près des visages, le cadre fragile, Cianfrance capte des gestes, des émotions. Il ne laisse rien passer, s’attarde sur les détails les plus insignifiants de cette mystérieuse machine qu’est le couple. Au départ imperceptible et insidieuse, la tension devient peu à peu suffocante, destructrice. Les espaces se resserrent alors que l’inévitable approche. Sans les juger, on les regarde se débattre, s’acharner à préserver ce qui est déjà perdu. A l’image de cette séquence où, dans un dernier sursaut d’amour, Dean emmène Cindy passer la nuit dans la “chambre du futur” d’un motel. Une chambre sans fenêtres… sans issue.

Blue Valentine est un film terriblement vivant sur les certitudes et les promesses que l’on pense éternelles. Sur le temps et son emprise. Sur ce petit grain de sable capable d’enrailler les plus grandes espérances et de faire vaciller la plus belle des histoires d’amour. Alors, c’est sûr, tout ça ne respire pas l’optimisme et c’est l’esprit groggy, la démarche hésitante, que l’on regagne doucement la sortie. Mais peu à peu, le pas se fait plus assuré, au fur et à mesure que les sentiments s’éclaircissent. Alors juste avant de s’engouffrer dans la bouche de métro, on sort son portable pour envoyer un de ces messages instantanés… “Je t’aime toi tu sais !”

Blue Valentine de Derek Cianfrance, avec Ryan Gosling et Michelle Williams. Etats-Unis, 2010. Sortie le 15 juin 2011. Sélectionné au Certain Regard du Festival de Cannes 2010.