Richard Linklater n’en est pas à sa première expérimentation cinématographique. A Scanner Darkly avait, avant Ari Folman et Valse avec Bachir et Le Congrès, transgressé la frontière réputée hermétique entre animation et prises de vues réelles. Le temps, il l’avait également exploré dans le triptyque Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight, des Antoine Doisnel que l’on retrouve de film en film, suivant chaque fois sur moins de 24 heures – et toujours un ultimatum, d’où les titres en Before – la construction d’un couple : la rencontre, les retrouvailles et l’usure de la vie commune. Boyhood explore les mêmes thèmes, cette fois du point de vue d’un garçon entre ses 6 et ses 18 ans, que l’on retrouve tous les ans. Mais le dispositif, s’il est plus original, perd en intensité dramatique. L’enjeu n’est plus de retrouver des personnages attachants, dont on se demande ce qu’ils sont devenus, mais de suivre la lente évolution d’un garçon, sans le recul qui permettrait de dégager une certaine hauteur de vue. C’est à la fois le charme et l’écueil du film.
S’il est amusant de noter les infimes changements d’une année sur l’autre, on reste souvent dans l’anecdote. Pour seuls marqueurs temporels, les traits des acteurs en prennent un coup – on salue le courage de Patricia Arquette dont la jeunesse s’envole sous nos yeux -, les modes passent, les technologies évoluent, mais les ressorts dramatiques restent forcément artificiels dans cette chronique d’un quotidien étalé sur douze ans. Pour forcer le changement d’une année sur l’autre, c’est – encore – le personnage de Patricia Arquette qui s’y colle, en mère célibataire, combative, qui trimballe ses gamins de déménagement en déménagement, au gré des conjoints plus ou moins abusifs qui se succèdent. Tout au long du film, elle se doit de gérer un quotidien bousculé, quand le père – le fidèle Ethan Hawke, déjà partie prenante des Before – évolue, du loser paumé en figure paternelle bien assise. C’est lui qui porte les moments les plus réussis du film, instaurant une réelle complicité qui n’allait pas de soi avec ses enfants. La relation qu’il construit avec eux est la plus touchante, cherchant d’abord à renouer un lien distendu avant d’être finalement en mesure de donner des leçons de vie à son fils à l’aube de son départ pour la fac.
Mais en dehors de ces moments charnières, Boyhood manque curieusement de souffle, d’enjeu, de point de vue. Richard Linklater se contente de montrer la vie quotidienne sur la longueur, sans s’interroger sur ce qui fait une éducation, d’utiliser le temps sans en saisir le sens, sans ancrage dans son époque – hormis l’élection d’Obama et une discussion sur le futur, alors fantasmé, de Star Wars. Si Boyhood part d’un dispositif intéressant, voire assez amusant, il ne s’en dégage jamais réellement, manquant sa visée initiatique, comme prisonnier par la force de son sujet : le temps qu’on a, qu’on n’a pas, ou qu’il est trop tard pour rattraper.
Boyhood de Richard Linklater, avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke, Lorelei Linklater… Etats-Unis, 2014. Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin. Sortie le 23 juillet 2014.