Gangsta Western Django
Quel plaisir de relire, sur grand écran, l’inscription “A film by Quentin Tarantino” , à la typographie colorée, quand on sait tout ce que cela implique. Voyages temporels à travers les icônes, pléthore de décalages, référentiel plus ou moins fracassant, déclaration d’amour au médium, et, à travers le caractère parfois explicite du flash-back cinéphile… la fonction puissamment évocatrice de cette orgie de pop culture.
Il suffit de deux pas pour passer d’une porte à une autre, d’une fantasmagorie à une autre, tout comme Butch, boxeur à la figure de last action hero, qui s’empare d’un sabre majestueux pour se la jouer Chambara. Ce microcosme qu’est le monde tarantinien s’impose depuis toujours comme cette fornication des genres et des fantasmes, des braqueurs à la manque aux intrigues pulp, de la blaxploitation à la nazisploitation, en passant par le gros son des bagnoles prêtes pour une énième course à la mort de l’an 2000.
Djangoooo en est le prototype parfait : regardez avec quelle fluidité narrative l’univers et les influences de son auteur s’y épousent ! Sous nos yeux, l’imagerie black (des stéréotypes raciaux au bon gros rap US) entre en contact avec le western (genre auto-réflexif par excellence), la torture façon Reservoir Dogs et le groove de Jackie Brown y retentissent le temps d’un instant, les chevaux traversent les paysages de Jeremiah Johnson comme autant de rêveries cinéphiles, les effets formels comic-books retentissent, et implose le son de la vengeance transcendante chère aux grindhouse movies, l’audace du ciné d’exploitation, l’impact atomique de la catharsis ! Toujours avec cette fusion atypique entre bigger than life prodigieux (Kill Bill) et émouvante humanité (Kill Bill 2). Forcément… sans quoi, Django, le personnage, ne serait qu’un coup de coude complice, dérisoire, quasiment cynique : s’attacher à Django c’est concevoir, et vivre, peu à peu, son évolution essentielle.
Imagerie, fusion, melting-pot culturel ? Si cela ne pouvait se résumer qu’en ces termes, ce serait trop beau ! Adepte d’un altruisme précieux, où le plaisir se ressent autant dans la conception de l’œuvre que dans la salle, Tarantino est aussi ce féru incurable d’histoires, ces petits trucs immortels inséparables de l’Histoire (avec un grand h cette fois). Plus que de se faire exploser en morceaux par le personnage qu’il a lui-même créé, lors d’un savoureux caméo, poussant jusqu’au gag la logique postmoderne, ce bon vieux Quentin, derrière ses songes sanglants de drive-in, en revient à la source de ses influences. A l’origine !
L’ex-dentiste conte à son Freeman l’histoire de Siegfried… au coin du feu. Un esclave combattant se nomme D’Artagnan. Le perfect nigger doit porter le doux blaze d’Hercule Noir. En fin de métrage, le chasseur de primes black, avec éloquence, résume son épopée à deux rednecks attentifs, épopée à la progression aussi folle que véridique, récapitulation époustouflante et progressive propre à la culture populaire. Tout nous dépose au Commencement : le mythe. Sa puissance métaphorique, son statut hénaurme, la manière dont l’oralité assure sa diffusion pour la postérité ! En créant un Héros, victorieux et vulnérable, allant du trou de l’anonymat aux fantasmes plus grands que la vie propres à l’icône, Tarantino achève son parcours de raconteur passionné : la gâchette la plus rapide de l’Ouest personnalise la conscience afro et le retour aux mythes. Le panel de vignettes “déjà-vu” balancées de-ci de-là laisse la place à la pure création d’un véritable mythe de cinéma.
Et c’est en cela que Django Unchained dépasse, et de loin, les stupides polémiques politiques “Spike Lee approved” qu’il a engendrées. Bien loin de ces esprits vieillards, Quentin ose même l’anachronisme (ce gun fight avec du Tupac en fond sonore !).
Le mythe, c’est donc ce qui pirate éternellement notre Histoire, de traumatisme en traumatisme, afin de la réécrire en permanence par sa supériorité imaginative et allégorique, avec tout ce que cela implique de parcours, de justice, de souffrance, de nemesis, et de complexité dans la simplicité. Pour s’en rendre compte, il n’est pas utile de sorti la Dolorean, afin d’aller écouter les aèdes des temps jadis : il suffit simplement d’aller voir ce sommet de fun qu’est Django Unchained, un récit universel fécondé par la caboche d’un réalisateur aux influences multiples et précises.
Comme le prophétise Stephen, le nom de Django promet d’être diffusé abondamment, confirmant le statut désormais célèbre de ce patronyme, risquant d’être autant estimé que celui d’Achille :
“I got a name, I got a name…” chante, à juste titre, Jim Croce…
Django Unchained de Quentin Tarantino, avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Samuel L. Jackson, Kerry Washington… Etats-Unis, 2012. Sortie le 16 janvier 2013.