Les amis réguliers
S’inspirant des Caprices de Marianne, aidé de la plume de Christophe Honoré, Louis Garrel se lance dans son premier long-métrage avec la trame classique du triangle amoureux. Mais le couple n’est pas celui qu’on croit. Celui qui porte le film, le dynamise, l’enjoue, c’est Garrel-Macaigne. Le branleur séduisant et le loser attachant, poursuivant tous les deux de leurs ardeurs Mona (Golshifteh Farahani, très convaincante), serveuse dans une sandwicherie de la gare du Nord en semi-liberté. Certes, Garrel fait du Garrel et Macaigne fait du Macaigne, réservant donc peu de surprises, entre disputes et dialogues sans fin, courses-poursuites et évasion pathétique. L’alchimie opère dès qu’ils se partagent l’écran, chacun incarnant une ironie particulière et savoureuse – un peu pédante pour l’un et désabusée pour l’autre. Louis Garrel offre ainsi une nouvelle façon de représenter l’amitié masculine – peut-être générationnelle – loin du simple buddy movie un peu balourd comme de l’amitié virile à la Husbands, de John Cassavetes. Ces hommes-là, trentenaires parisiens barbus, exposent leurs sentiments, leurs fragilités et leurs fausses certitudes. Entre Louis Garrel et Vincent Macaigne, il est question de désir, de séduction, de jalousie, de trahison. Accrochés l’un à l’autre comme à une bouée, ils semblent incapables de vivre ensemble comme de vivre séparés, offrant une scène de rupture sur le lit d’une chambre d’hôtel aussi drôle que touchante. Avec ces Deux Amis, on réalise le chemin parcouru par Louis Garrel derrière la caméra depuis Le Petit Tailleur, son premier court-métrage. Même s’il capte moins bien la séduction entre un homme et une femme que l’amitié de ses deux personnages et laisse place à quelques longueurs en l’absence de Vincent Macaigne, le primo-réalisateur fait preuve d’une inattendue humilité, osant autodérision et clins d’œil – une scène de tournage d’un film sur Mai 68, comme dans Les Amants réguliers, de son père Philippe Garrel – sans paraître nombriliste ou poseur, mais simplement ancré à la fois dans un héritage assumé et une contemporanéité fraîche.
Les bonus DVD
Profitons-en aussi pour plonger dans la genèse de ce premier film en visionnant les bonus. D’abord, quelques précieuses minutes d’interviews où Louis Garrel et la productrice Anne-Dominique Toussaint reviennent sur l’envie et l’élan originels, tandis que Vincent Macaigne et Golshifteh Farahani évoquent quelques souvenirs de tournage. Le plus intéressant reste le court-métrage, La Règle de trois, auréolé en 2012 du prestigieux prix Jean Vigo. Dix-sept minutes au fil desquelles les mêmes acteurs livrent une autre partition du trio amoureux claudicant. Dans cet opus, l’équilibre du couple incarné par le duo de charme Garrel-Farahani est troublé par un troisième luron, le bon camarade un peu encombrant Macaigne, fragile et en manque d’amour… Déambulant dans les rues de Paris, le trio à géométrie variable éprouve et épuise tour à tour les ressorts de l’amitié et de l’amour. Le nerf de la guerre étant la lutte acharnée contre la solitude. Et c’est bien cette même terreur d’être seul qui anime les errances des Deux Amis, où le glissement du scénario verra cette fois la jeune femme tenir la chandelle au « couple » d’acolytes masculins. La Règle de trois apparaît donc comme un joli prélude au marivaudage mélancolique et existentiel qui fait la saveur du premier film de Louis Garrel.
Les Deux Amis de et avec Louis Garrel, avec aussi Vincent Macaigne, Golshifteh Farahani. France, 2015. Sélectionné à la Semaine de la critique 2015. Sortie le 23 septembre 2015. Sortie DVD le 3 février 2016.