Qui ?
Alain Guiraudie a fait sensation sur la Croisette en 2013 – décidément l’année érotique cannoise, puisqu’était également présenté cette année-là La Vie d’Adèle – avec L’Inconnu du lac, thriller insoupçonné, présenté à Un Certain Regard. Un film inquiétant malgré un décor de lac ensoleillé entouré de bosquets cachant (mal) les ébats furtifs des plagistes. Un suspense où les personnages passent le plus clair de leur temps à bavasser tranquillement en maillot de bain. En 2009, il avait déjà présenté Le Roi de l’évasion à la Quinzaine des réalisateurs, la rencontre improbable entre un quadra homosexuel en pleine crise existentielle et une ado toute à la fougue de ses 16 ans. Alain Guiraudie enrobe ses histoires d’un humour grinçant, d’un naturalisme esthétique, et surprend, chaque fois. On a donc hâte de découvrir cette première reconnaissance méritée qu’est l’accès à la compétition cannoise pour cet habitué de la Quinzaine (Ce vieux rêve qui bouge, 2001, Pas de repos pour les braves, 2003, et Le Roi de l’évasion, donc, 2009).
Quoi ?
Connaissant la filmographie d’Alain Guiraudie, Rester vertical a tout du titre évocateur. Mais penser savoir ce qu’on va voir avec un film du réalisateur aveyronnais, c’est être à côté de la plaque. Ici, il filme l’errance d’un cinéaste en panne d’inspiration à travers la France, de la Lozère à Brest. Tout ce que l’on sait, c’est que Guiraudie conçu son film « avec l’idée de rendre l’invraisemblable crédible, l’impossible envisageable et de faire un grand voyage pas très loin de chez moi, de rapprocher l’ailleurs et de m’évader au coin de la rue ». Quoi qu’il en soit, la perspective de le voir sublimer les causses de Lozère et exploiter l’architecture toute particulière de Brest enchante déjà. Celle de le voir raconter la déchéance d’un homme avec la certitude – cette fois-ci, pas de surprise – qu’il ne tombera dans aucun misérabilisme rassure. Celle, enfin, de découvrir de nouveaux talents, comme cela avait été le cas avec Pierre Deladonchamps et Christophe Paou, et des gueules de cinéma (à l’image de Patrick d’Assumçao ou Ludovic Berthillot), ravit. Tant de promesses que c’est à notre tour d’en lancer une : dans la file d’attente pour Rester vertical on se dressera.
Résultat des courses ?
Rester vertical. Un titre qui sied à merveille au cinéma d’Alain Guiraudie. Un cinéma sans concession, qui ose tout (c’est même à ça qu’on le reconnaît), faussement foutraque. Totalement créatif et surprenant. L’histoire de son cinquième long-métrage est celle de Léo, la trentaine, vaguement scénariste pour le cinéma, et franchement sans domicile fixe. Il traîne sur les routes sinueuses de la Lozère s’arrêtant sur le bord d’une route pour demander à un jeune homme : « Ca ne te dirait pas de faire du cinéma ? » La tension sexuelle est immédiatement palpable. Pourtant, c’est avec la fille d’un berger qu’il s’acoquine. Léo croit alors vouloir/pouvoir se poser. Mais l’affaire est plus complexe et quand un bébé arrive, le couple se sépare et Léo de se retrouver seul avec son enfant au milieu de nulle part.
A qui voudrait quitter Paris pour se mettre au vert, Guiraudie offre une contrevisite du mythe des chèvres qu’on part élever dans le Larzac. Ici, la campagne rime avec désarroi, solitude, pénibilité… Sur ces terres grandioses et désertes sublimées par le réalisateur broutent les brebis, rôdent les loups. Les hommes sont tous plus ou mois gay (plus que moins, d’ailleurs), tous plus ou moins seuls. Peinent à trouver leur place. Et c’est ainsi que le réalisateur de L’Inconnu du lac interroge la fuite, nos peurs, scrute ce que l’on exige de nous pauvres âmes esseulées, bousculent les règles établies. Dans son cadre tiré à quatre épingles, les sentiments, le désir, les envies, les projets ne suivent jamais une ligne droite. A mi-chemin entre rêve et réalité, Rester vertical s’impose comme une fresque surréaliste, connectée à la nature, au cycle de la vie. Comment s’affranchir de la norme, voilà la quête de Léo, alter ego de Guiraudie qui fait ce qu’il veut avec et devant sa caméra. Et tous deux affrontent les loups, revendiquent le fait de bander. Et d’être en vie.
Rester vertical d’Alain Guiraudie, avec Damien Bonnard, India Hair, Basile Meilleurat… France, 2016. Sortie le 24 août 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.