Victoria secrète
Justine Triet poursuit gentiment son ascension cannoise, palier après palier. La présentation de La Bataille de Solférino à l’ACID en 2013 avait fait bruisser Cannes. Celle de Victoria en ouverture de la Semaine de la critique fait également parler d’elle, avec la révélation Virginie Efira. Révélation parce que, même si on la voit depuis quelques temps à l’écran, l’actrice belge semble enfin avoir trouvé un rôle plus complexe que ceux auxquels elle semblait abonnée jusqu’à présent (femme de pouvoir et de séduction et/ou bonne copine drôle un peu trash). Révélation aussi parce que son personnage se dévoile petit à petit. D’abord mère célibataire travailleuse et sûre d’elle. Puis avocate avec un sens précis de la déontologie. Avant que ses interrogations existentielles prennent le dessus. Avant qu’elle accepte de défendre son ami, accusé d’avoir poignardé sa compagne. Avant qu’elle accepte de faire entrer dans sa vie un ancien client, ex-dealer, reconverti en « homme de l’ombre », (à la fois babysitter, stagiaire bénévole, épaule réconfortante, et organisateur en chef d’une vie qui se dérègle).
Ce portrait de femme ne manque pas d’humour et de folie – on croise, dans le désordre : un lapin maltraité, une avocate exaltée, des coups d’un soir foireux, un chien témoin n°1, un couple à la limite de la décence, un chimpanzé photographe… Notons au passage l’attention particulière donnée à chacun des seconds rôles, tous parfaits. Mais, surtout en comparaison de La Bataille de Solférino, tout cela manque d’une mise en scène en écho avec les soubresauts de la vie de son personnage. Dans son premier film, Justine Triet faisait ressentir le chaos, l’urgence, la pression. Ici, avec un budget plus conséquent, une caméra plus posée, des décors extrêmement graphiques, Victoria reste un peu trop sage dans son extravagance et ne franchit jamais les limites. Même sa volonté de transgresser quelques clichés de la comédie romantique et son interrogation de la représentation des genres – si moderne soit-elle – aboutit finalement au sauvetage d’une donzelle en détresse par un preux chevalier. Dans sa courte filmographie, Justine Triet fait tout de même preuve d’ambitions prometteuses : une brillante direction d’acteurs, un désir de complexité sans prise de tête, la volonté d’imposer une comédie drôle, intelligente, exigeante. Prochaine étape : la Quinzaine des réalisateurs dans quelques années. On y sera.
Victoria de Justine Triet, avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud… France, 2016. Sélectionné à la Semaine de la critique 2016.