Le journaliste de Positif Philippe Rouyer anime ce samedi 30 janvier 2016 une discussion avec le réalisateur culte Alejandro Jodorowsky, dans le cadre d’un hommage tout particulier au Festival du film fantastique de Gérardmer. Il nous parle d’un artiste qui ne laisse personne indifférent.
Pourquoi animer cette discussion avec Alejandro Jodorowsky ?
C’était une proposition du Festival et j’ai accepté tout de suite avec plaisir, car je trouve le cinéma de Jodorowsky passionnant. Ce sera un grand moment, car c’est un artiste sans langue de bois et très généreux en entretien, qui va sans doute interpeler un public qui ne serait pas habitué à son style de cinéma. Un cinéma qui ne ressemble à rien de traditionnel et qui est un véritable choc émotionnel.
Comment définir Jodorowsky ?
C’est un poète visionnaire. Il part de films de genre qu’il distord totalement pour en faire des films très personnels. Je pense à El Topo et Santa sangre, aux terrains balisés qui bifurquent. Son dernier film, La Danza de la realidad est par exemple un film autobiographique racontant sa jeunesse et que l’on pourrait rapprocher des films de Bunuel ou Ruiz, mais qui devient une quête mystique. On pourrait dire que son cinéma rappelle les effets de la drogue, mais sans en prendre. Même si on n’adhère pas à son œuvre, on ne peut qu’être saisi par la beauté et les idées incroyables qui s’en dégagent. On se souvient de ses films, car c’est un véritable choc à chaque fois. Tout cinéaste important ne peut, de toute manière, pas laisser indifférent et divise. Toutefois, son Danza de la realidad est mieux maîtrisé et a reçu un accueil unanime. Et on attend beaucoup de son prochain film, Poesia sin fin sur son enfance à Santiago du Chili.
Il semble inspirer bon nombre de cinéastes…
Oui, son adaptation de Dune en est l’exemple parfait. Il reste tout un tas d’éléments de préproduction comme les storyboards, où l’on prend la mesure de ce qu’aurait été ce film, que ce soit la distribution prévue (Mick Jagger, Orson Welles) ou la conception des vaisseaux qui rappellent ceux que l’on retrouvera plus tard dans Star Wars. Même ses créatures sont proches de l’Alien conçu par H.R. Giger. C’est incroyable, l’influence de cette œuvre qui pourtant n’a jamais vu le jour, faute de financement…
Qui sont ses héritiers ?
Nicolas Winding Refn se réclame de lui, comme un fils spirituel, car il fait aussi un cinéma mental, avec un vrai travail sur le genre, s’appuyant sur une réalité et allant au-delà. Il y aurait aussi Jan Kounen pour son intérêt des pratiques métaphysiques, que l’on retrouve dans Blueberry.
Il a lui aussi le talent de ne pas être seulement réalisateur.
Le cinéma n’est que l’une des facettes de l’œuvre de Jodorowsky…
Oui, c’est un artiste protéiforme comme l’était Cocteau. Il a par exemple créé le mouvement Panique, héritage du dadaïsme et du surréalisme, avec Roland Topor et Fernando Arrabal. Son cinéma est d’ailleurs le fruit de ce passé, c’est pourquoi ses films sont si bouillonnants et dans une ébullition créatrice. Entre Le Voleur d’arc-en-ciel et La Danza de la realidad, ce sont écoulés 23 ans pendant lesquels il a fait tout autre chose. Pour lui, le cinéma n’est qu’un mode d’expression.
Quels films conseiller à quelqu’un qui n’est pas familier de son cinéma ?
Pour commencer, je suggérerais La Danza de la realidad et Santa sangre, qui sont ses films les plus narratifs. Il y a dans Santa sangre un traitement extraordinaire du personnage du tueur en série. C’est un cinéma de sensation, d’émotion qui peut vite échapper à un public qui attend qu’on lui raconte une histoire. Alejandro Jodorowsky vise au sublime, en prenant le risque d’être grotesque.
Que pensez-vous des films choisis pour cet hommage ?
Ce sont ses quatre meilleurs films, le Festival ne s’y est pas trompé. Je conseillerais toutefois de terminer le cycle par La Montagne sacrée, sans doute le film le plus déroutant, avec des moments de cinéma inouïs.