« Manières de voir, manières de faire », c’est ainsi que l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) ouvre son dossier de presse cannois. Chaque année, l’association présente une sélection de films (documentaires et fictions) choisis par un collectif de cinéastes suite à de « longues discussions passionnées (…) sans président de commission, c’est-à-dire sans voix qui vaille plus que les autres », précise Mariana Otero, coprésidente de l’Acid.
Pour son premier Cannes, Grand Écart s’est associé à l’Acid pour découvrir ces films indépendants. A commencer par Noces éphémères de Reza Serkanian. Zoom sur le film, accompagné de quelques questions au réalisateur.
Zoom sur Noces éphémères
Tout doucement, par un plan d’ouverture long et délicat, Reza Serkanian fait découvrir au spectateur un environnement qu’il ne connaît pas, s’approche des personnages et de leur vie. Fluide, la caméra s’arrête sur les discussions des femmes de la maison, les jeux d’enfant, l’appel à la prière du grand-père… « C’est comme si je faisais circuler une âme dans la maison, qui va de souvenir en souvenir. C’est un regard sur un monde qui n’existe presque plus, mais qui est quand même le fond d’une culture. » Au cœur d’une maison dans laquelle circulent plusieurs générations se frottent émancipation et transmission. Souvent on s’arrange avec Dieu, l’entourage, la famille. A la mort du grand-père, patriarche, référent, ce petit monde vacille, s’interroge et doit surtout quitter cet antre protecteur. Dehors avec le cercueil, ils sont un peu perdus…
Noces éphémères, c’est aussi l’histoire du petit-fils fougueux Kazem et de sa belle-sœur Maryam. Ils vivent en équilibre entre une famille traditionnelle qui étouffe leurs aspirations individuelles et l’extérieur qu’ils ne peuvent occulter pour l’avoir côtoyé. Entre eux naît un désir interdit. Lui est déjà fiancé. Elle, veuve. Il est alors question comme le titre l’indique de noces éphémères, de mariage temporaire. Une coutume honteuse admise par l’islam chiite. Un mariage à durée déterminée qui permettrait d’épouser une femme pour consommer, sans déroger aux règles religieuses, un court instant de plaisir…
Quelques questions à Reza Serkanian
Quel a été le parcours de votre film ?
Ce fut d’abord une fiction radiophonique sur France Culture (après avoir reçu le prix France Culture), puis il a été sélectionné par l’Acid en 2010. Mais à l’époque, nous étions encore dans un rapport financier avec l’Iran et nous avons donc décidé de nous retirer de la sélection à cause du risque que cela entraînait pour nous dans nos relations avec l’Iran. Il y avait un écart important entre la version du film que l’Iran souhaitait et celle que je voulais. Je me suis rendu compte en avançant dans le projet que je sous-estimais les difficultés. Je savais que ça allait être difficile, mais mon histoire me paraissait simple. Je ne voyais pas où était le mal, l’Iran était en train de s’ouvrir. Mais je suis tombé dans l’année des élections. Le climat s’est durci, il fallait attendre des autorisations pour le tournage. Tout ça a traîné pendant deux ou trois ans.
Comment est perçu le mariage temporaire en Iran ?
C’est quelque chose de très compliqué. C’est une loi écrite mais les gens ne le pratiquent pas beaucoup, car ça leur paraît totalement absurde. C’est assez mal vu, en fait. Tu ne proposes jamais ça à une fille que tu connais. Soit c’est ta copine et c’est bon, tu sors avec elle sans avoir besoin de passer par le mariage temporaire, soit tu ne la connais pas et tu ne vas tout de même pas utiliser cela pour arriver à tes fins. C’est davantage une pratique pour les gens coincés religieusement, ceux qui ont vraiment besoin d’avoir bonne conscience.
Que symbolisait la mort du grand-père pour vous ?
A partir du moment où il n’y a plus le grand-père, les personnages sortent de la maison. Tout ce qui se réglait en famille, avec gentillesse est transposé dans la rue. Au lieu de courir derrière la petite cousine, on court après n’importe quelle fille, on se retrouve au poste de police, on se met à parler des langues étrangères. On s’éloigne de ce côté conscrit. La mort du grand-père représente la perdition des traditions. En apparence, tout au moins. Mais elle montre aussi que le fond reste identique. Une fois sortis de la maison, sans la figure du patriarche pour veiller sur eux, les uns et les autres retrouvent les mêmes attitudes, les mêmes logiques. Tous doivent jouer avec les codes traditionnels.
Le film interroge ses codes…
Le film s’interroge sur le poids des traditions. Les personnages sont obligés de faire avec. Ils apprennent à les utiliser, à jouer avec pour passer entre les mailles… En passant par la tradition, finalement, on a plus de chances de se faire comprendre, mais en même temps il faut savoir les dépasser pour arriver à d’autres choses. C’est une manière de les détourner tout en les connaissant, s’inscrire dans la tradition sans en être victime.
Finalement, la société iranienne paraît très traditionnelle, mais pas si verrouillée que ça ?
Au final, c’est toujours la nature humaine qui gagne. Mon film se demande comment faire avec, comment vivre avec les traditions. Comment prendre les choses avec légèreté. Tout n’est pas si coincé que ça. Je voulais expliquer les origines des comportements actuels dans la société iranienne. Comment on apprend les rites, comment on les intègre quand on est enfant, comment on les hérite des grands-parents, des proches. Par exemple, la jeune fille (la cousine) prend très au sérieux les traditions, alors que Kazem est beaucoup plus léger. Ils sont deux exemples d’une même génération. L’une est restée dans la tradition, l’autre a vécu autre chose. Et cela change leur regard sur la vie et le monde.
Pourquoi avoir choisi d’aller de la fiction classique à un traitement plus documentaire ?
J’ai fait le choix de mêler la fiction et le documentaire dans la seconde partie du film. Ce long métrage commence dans une ambiance très traditionnelle, très posée. La mise en scène est assez statique, esthétique. Puis, petit à petit les personnages s’ouvrent sur l’extérieur, sur la société. Je voulais intégrer des images documentaires à ce moment-là.
Vous avez également réalisé des documentaires, comment cela a-t-il influencé votre travail sur Noces éphémères ?
Mon documentaire Ceux qui mangent le bois sur le Gabon m’a permis de me confronter à une société de rites. J’ai pu prendre du recul par rapport à tout ce qui concerne les rituels. Tous ces gestes qui nous paraissent évidents quand on est dans une famille traditionnelle. C’est ce que je montre à la fin de mon film : ces filles voilées avec un tissu vert sur le visage. Je voyais ça depuis toujours, cela n’avait rien de mystérieux. J’y étais habitué.
Noces éphémères, de Reza Serkanian, avec Mahnaz Mohamadi, Hussein Farzi Zade, Javade Taheri… France, Iran, 2011. Programmation Acid Cannes 2011. Sortie le 9 novembre 2011.