Who is Woody ?
Il est de ces cinéastes qui, à la seule évocation de leur patronyme, suscitent un émoi sans nom. Woody Allen est de ceux-ci. Une forme d’icône supposée intouchable, et pourtant, l’artiste, obsessionnel et prolixe, est aussi prompt à l’échange incongru qu’à la discussion de fond. Chaque année ou presque, son millésime l’amène dans nos contrées. La promotion du séduisant To Rome with Love l’a conduit à Paris. Nous l’avons, en public, « rencontré »…
Il était bel et bien là. Assis, recroquevillé, mais l’œil et l’oreille aux aguets : Woody Allen était accompagné d’une traductrice dont le caractère volubile et l’enthousiasme manifeste faisaient contraste avec l’apparente timidité de l’invité. Tandis que l’interprète oscillait du français à l’anglais, tous les regards étaient tournés vers « Woody ». Car le monsieur, outre sa récurrente présence en Europe – « Je suis un cinéaste européen », dit-il – est aussi d’un abord aisé. Monsieur Allen appartient à la constellation des cinéastes qui ont le sens de l’écoute. Ses films sont, pour le moins, bavards. De visu, l’homme semble plus mesuré. Il est attentif, répond promptement, entre franchise et roublardise, à tous types de questions. Celles-ci portèrent sur le culte qu’il voue à notre continent, sur son rapport à la mort, sur son goût de l’écriture, sur son inspiration – toujours vivace : « Je n’ai aucune envie de prendre ma retraite, ce mot n’appartient d’ailleurs pas à mon vocabulaire. Travailler, c’est être vivant. » La messe est dite.
Oui, mais comment œuvre-t-il, exactement, ce monsieur niché derrière ses lunettes aux montures noir de jais ? Quel type de travailleur est Woody Allen ? Ses films, on le sait – et ça fait tout le charme de To Rome with Love -, s’apparentent à une partition musicale faite de thèmes, d’anathèmes et de ritournelles. Comment s’entretiennent ses récurrences ? Comment se cisèlent-elles ? Osons, dès lors, quelques questions, de fond, de front, ou anecdotiques, de biais ; osons – une fois n’est pas coutume – pour mieux connaître l’artiste, l’artisan et l’homme. Levons la main, de vive voix, haute, demandons :
Aimez-vous Jean-Luc Godard ? (1)
“Je l’admire beaucoup. C’est un génie. Je n’en suis pas un. Voici ce qui nous relie. Dans mon groupe d’amis, on l’aimait car il inventait de nouvelles formes. Et je l’ai rencontré plusieurs fois, j’apparais même dans son film King Lear !”
Le chef opérateur est-il l’une de vos clefs de voûte ?
« Oui, très certainement. Je me repose beaucoup sur lui. C’est une personne fondamentale à mes côtés ».
Ecrivez-vous au stylo ou à l’ordinateur ?
« J’écris toujours à la main et sur une vieille machine à écrire. Une Olympia. Je ne suis pas doué pour les technologies. En fait, je ne suis pas de ce monde-là. Ma femme et mon enfant, eux, le sont ! »
Trouvez-vous l’inspiration en vous promenant ?
« Une de mes activités préférées consiste effectivement à marcher dans les rues. J’ai des amis qui aiment aller dans les musées et visiter les églises. Je fais ça aussi, un peu, mais ce que je préfère, c’est la ville, avec ses maisons, ses magasins, les gens, quel que soit l’endroit où je me trouve. Et à New York, chez moi, je sors tous les jours avec ma femme pour marcher. Elle me sort un peu comme on sort un chien, en fait ! C’est ma seule activité excitante de la journée. »
Pour l’heure, nous n’en saurons guère davantage. C’est ainsi plus sage. Il n’est pas bon de tout connaître des gens qu’on admire. Leur mystère n’a pas de prix et l’attente d’en savoir plus a son charme aussi. Comment se sent-il physiquement au moment du tournage ? Abuse-t-il du thé ? Noir, anglais, avec ou sans nuage de lait ? Les nuages, à propos : et la météo ? Lui importe-t-elle ? Est-il superstitieux ? A-t-il vu et aimé Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda ? Quel est son chiffre préféré ? Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll est-elle une œuvre chère à son cœur ? A-t-il le vertige ? Aime-t-il les vestiges ? Les non-sens ? Les paradoxes ? Les ponts et les pontons ?
Un jour, peut-être, nous saurons.
Merci à Stéphane Célérier, sentinelle avisée.
(1) Se procurer le formidable Paris vs New York de Vahram Muratyan dans la collection 10/18. Pour le pertinent face-à-face « Godard / Woody ».