Humeur #1 : Cannes fait le ménage

 

Billet d'humeur 1Rompu aux joutes dialectiques, Grand Écart aime souligner les paradoxes, défendre les antithèses et pourfendre les idées reçues. Le festivalier, par exemple, est une contradiction ambulante. Tous les jours, il se rend dans des salles climatisées, aux conditions de projection optimales, puis ressort n heures plus tard, édifié par les problèmes sociaux ou les apories métaphysiques filmés par un cinéaste venu de très loin. Cependant que la persistance rétinienne de la lanterne magique substitue à son regard un monde qui s’accorde à ses désirs (comme le savait Dédé Bazin), le distributeur-journaliste-producteur-stagiaire (rayer la profession inutile) songe à s’alimenter et doit oublier soudain tout ce qui l’a indigné ou questionné sur la toile, le voile de la fiction soudain levé par les tarifs des produits de bouche dispensés sur place. Comment concevoir, en pareille situation, l’oblitération des problèmes quotidiens par la magie du septième art ?

De La Grande Bouffe à Antichrist en passant par Irréversible ou Brown Bunny, les films choc ont toujours réussi à faire passer l’addition. Les paninis ont le temps de refroidir et les salades niçoises de pourrir quand des auteurs se décident à secouer le public. Difficile cette année de trouver à l’avance l’œuvre propice à la biodégradation alimentaire. En revanche, une, laissée au frigo, aurait pu, le temps d’une séance sans doute houleuse, donner au festivalier sa portion roborative : Welcome to New York d’Abel Ferrara. Le film sur DSK, donc, qui risque de faire parler les bavards, n’est toujours pas programmé pour Cannes. Son sujet, son mode d’exploitation (direct to VOD a priori) avaient tout, pourtant, du métrage sulfureux permettant à Cannes de devenir le centre du monde. On s’étonne : est-ce une revanche du festival, que l’affaire du Sofitel, en plein Festival 2011, avait relégué au second plan de l’actualité ? Un choix délibéré de ne pas exposer à Cannes les personnalités de l’histoire immédiate, en préférant montrer des films sur les failles de la prévention routière dans la principauté de Monaco ?

Intrigante affaire, qui dessert peut-être l’aura du Festival, qui semble privilégier une manifestation où les prescripteurs éclairés rencontrent les artistes exigeants, débarrassée des équations gênantes (réalisateur issu du genre + affaire de mœurs peopolitique + acteur vilipendé). Sans doute faudrait-il que le Festival sorte de sa chambre d’hôtel luxueuse et cultivée pour se rapprocher un peu du monde.

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