Rencontre avec Laure Kniazeff
Best-seller to Box-office – BS2BO pour les intimes – part d’une idée simple : mettre en relation producteurs de films et éditeurs ou agents littéraires pour favoriser l’adaptation. Lorsque Nathalie et Laure Kniazeff cherchent un bon ouvrage à adapter pour leur premier long-métrage, elles constatent avec surprise qu’aucun outil n’existe pour faciliter le processus d’adaptation cinématographique et télévisuelle. Professionnelles des métiers du cinéma et du livre, elles créent donc BS2BO, formidable base de données d’ouvrages potentiellement adaptables, et mine d’or pour les scénaristes. « Quand je vois que La Guerre des boutons est adapté deux fois à une semaine d’intervalle, j’ai envie de crier ‘Venez nous voir, on a plus de 5000 histoires géniales à adapter !’ », sourit Laure Kniazeff. Rencontre avec cette créatrice passionnée, invisible pour les spectateurs mais précieuse passeuse d’histoires 2.0.
C’est un manque qui est à l’origine de Best-seller to Box-office ?
Lorsqu’on cherchait une histoire à adapter, en 2007, Nathalie et moi nous sommes rendu compte qu’il n’existait aucun outil pour aider les producteurs de films à trouver des histoires. Tout se faisait de façon artisanale : les éditeurs envoient les livres qu’ils publient et qu’il jugent adaptables à la vingtaine de producteurs qu’ils connaissent bien, ou alors c’est le conseil d’un libraire à un producteur, un coup de cœur de lecture… Il y a donc une mine d’or d’histoires qui ne sont pas traitées, c’est beaucoup de temps pour un producteur de prendre un à un les livres d’un éditeur pour juger de la faisabilité d’une adaptation. On a donc décidé de créer cet outil manquant, pour aider les producteurs à obtenir ces informations. On a mis trois ans à constituer notre réseau d’agents et d’éditeurs dans le monde, et aujourd’hui, BS2BO est un outil international avec une base de données en ligne de livres du monde entier, traduits en cinq langues.
Vos clients sont exclusivement les producteurs ?
Oui. On a préféré garder notre indépendance vis-à-vis des éditeurs, pour pouvoir continuer de mettre dans notre base de données seulement les livres dont nous souhaitons parler. Pour chaque livre, nous écrivons un rapport de lecture. C’est cette expertise que recherche le producteur. Nous n’avons pas d’accord financier avec les éditeurs et les agents mais un accord de bonne entente : ils nous soumettent un livre lorsqu’ils pensent que ça va nous intéresser, et nous allons aussi chercher de nous-mêmes les infos, fouiner dans les salons, etc.
Les producteurs ont-ils parfois d’autres besoins ?
Certains producteurs font aussi leur propre demande : ils nous expliquent quel type d’histoire ils recherchent, en fonction de ces éléments on se tourne vers les éditeurs et agents qui nous semblent les plus appropriés. Nous proposons également de la recherche de droits : grâce à notre réseau international, on peut avoir en une journée l’information qu’un producteur aurait mis des semaines à obtenir. C’est un « plus » très apprécié.
Comment choisissez-vous les livres dont vous allez parler ?
Aujourd’hui nous sommes cinq en France, et il y a une vingtaine de personnes en tout qui travaillent avec nous. Il y a des gens par pays et par catégorie : ce n’est pas la même personne qui va traiter la BD et la Jeunesse, par exemple. Ces personnes sont déjà bien intégrées dans ce milieu-là, elles vont nous envoyer des rapports de livres. On en reçoit entre 100 et 200 chaque semaine. Ensuite, parmi ces lectures, on va choisir celles qui nous paraissent les plus intéressantes, c’est-à-dire qui présentent des éléments dramatiques, une bonne histoire, des personnages forts, un point de vue nouveau sur un fait historique ou divers… Tout ce qui nous semble être susceptible de déclencher une idée et une envie chez un producteur. On sélectionne aussi parfois des livres en fonction de leur auteur ou de leur éditeur, parce qu’on connaît leur qualité. On ne prend pas forcément des livres qui sont déjà « installés », parce qu’on sélectionne beaucoup de premiers livres, mais toujours des auteurs qui ont été « travaillés » par l’éditeur.
Ce sont donc principalement des livres qui ne sont pas encore sortis ?
Oui, toute notre valeur ajoutée est d’informer les producteurs avant la sortie des livres. En général, deux ou trois mois en avance pour les livres français ; à l’étranger on peut avoir les livres bien plus en amont, parce qu’on a les informations avant même qu’il y ait un éditeur. Chaque semaine on envoie une newsletter aux producteurs abonnés. On y trouve des infos sur les droits vendus, les livres qui font du buzz, puis notre sélection triée par genre. Si un producteur est intéressé par l’un des livres de notre sélection, il nous contacte pour nous demander un rapport plus long avant de lire le manuscrit : on rédige alors des fiches de lecture-adaptation, ce sont des fiches de 15 à 20 pages très détaillées, avec l’histoire principale et les intrigues secondaires, tous les personnages…
Quel est le coût pour le producteur ?
Il y a différents stades de services : le premier est l’accès à la newsletter et la base de données en ligne, qui permet de chercher par genre, par thème, par mot-clé… Ensuite il y a un service VIP plus personnalisé : le producteur nous fait son brief, et on lui soumet directement des livres dès qu’on voit quelque chose qui va l’intéresser. On vend une prestation : dès que ça touche un livre, le producteur sait qu’il peut faire appel à nous. De plus en plus de producteurs nous contactent dès qu’ils ont une question autour du livre…
Votre existence est liée à la pénurie d’auteurs de cinéma…
Adapter un livre, ça ne veut pas dire ne pas être un auteur. C’est aussi difficile d’adapter un livre que d’écrire un scénario original. Le scénariste a toujours sa place, même sur une adaptation. Les plus grands scénaristes ont fait des adaptations.
Pour vous, c’est quoi une bonne adaptation ?
Avant de se demander si c’est une bonne adaptation, il faut se demander si c’est un bon film ! Quand je vois un film, je ne vois pas l’adaptation. Si ce n’est pas un bon film, ça ne sera pas forcément une bonne adaptation non plus ; et souvent, les adaptations les plus réussies prennent des libertés avec le livre. C’est lorsque le réalisateur a vraiment mis sa patte, a pris le sujet pour lui. De toute façon, et c’est la magie du livre, on se fait à la lecture notre propre impression et on est souvent déçu de voir ce que quelqu’un d’autre en a fait. Mais à l’inverse, je me souviens d’une très bonne adaptation : celle des Déferlantes, le livre de Claudie Gallay. Le livre n’était pas évident à adapter, mais ça c’est bien fait. Le livre comme le film ont leur propre existence.
Et dans votre catalogue, vous avez des exemples d’adaptations réussies ?
Ca fait cinq ans qu’on existe, mais on ne commercialise que depuis 2012. On a déjà eu un certain nombre d’options signées, mais le processus de réalisation étant long, il n’y a encore aucun film sorti. Pour donner un exemple, vous avez peut-être entendu parler du livre Demain j’arrête, de Gilles Legardinier. On l’a proposé à la société Big Nose, qui a tout de suite eu un coup de cœur et l’a optionné. Il y en a beaucoup d’autres, mais nous sommes souvent soumis à une clause de confidentialité !
L’auteur a toujours son mot à dire ?
Evidemment. Nous mettons le producteur en relation avec l’éditeur ou l’agent, et ensuite tout sera affaire de négociations avec l’auteur. Une fois qu’on a fait la relation, on peut donner notre avis et conseiller chaque partie, mais on n’intervient plus dans les négociations ni le choix du projet par l’éditeur.
Est-ce incontournable de présenter des best-sellers pour entrer au box-office ?
On parle des best-sellers parce qu’on veut donner au producteur un panorama de l’actualité littéraire, mais en réalité, il ne faut pas trop se fier au nom ! « Best-seller » fait référence aux livres, et « box-office » aux films. Ce sont des expressions internationales, ce qui parle à tout le monde, mais 99 % de notre travail, c’est d’aller chercher des livres qui ne sont pas connus. Et puis les best-sellers ne sont pas forcément les plus achetés, parce que les producteurs pensent que ça va coûter très cher – ce qui n’est pas toujours vrai. Les perles, ce sont les livres qui sont au milieu, des premiers romans avec de belles histoires.
Vous ressentez une différence entre un producteur français et international ?
Les producteurs américains cherchent beaucoup d’histoires de genre très marketées : thriller, aventure… En France, on fonctionne davantage au coup de cœur, quel que soit le genre du livre. C’est souvent très difficile de faire le bon choix, et c’est pour ça qu’on est là. Mais sinon, il n’y a pas tellement de différences : on a toujours affaire à des gens passionnés qui veulent raconter une histoire.
Qui sont vos clients ?
En France on a notamment UGC, Umedia… Nous avons environ 150 clients abonnés à l’année, ainsi que les clients ponctuels. Il existe énormément de producteurs, on espère donc que le nombre d’abonnés va continuer d’augmenter.
Prévoyez-vous une ouverture de BS2BO à d’autres activités ?
L’idée est bien sûr d’élargir notre offre, mais il y a déjà deux activités qui viennent s’ajouter de manière assez naturelle à ce que nous proposons : d’abord le remake, c’est-à-dire le fait de proposer des livres qui ont déjà été adaptés dans certains pays, qui y ont eu du succès, et qui pourraient être réadaptés ailleurs. Ensuite, le networking, c’est-à-dire la mise en relation des producteurs entre eux pour de la coproduction, lorsqu’ils sont intéressés par le même livre.
Vous avez un conseil à donner aux producteurs ?
Trouver un bon scénariste, quel que soit l’ouvrage de départ ! Et surtout ne pas hésiter à faire une proposition financière pour obtenir les droits d’un livre, c’est souvent moins cher que ce qu’on imagine.