David Cronenberg revient sur la Croisette, deux ans après y avoir présenté l’adaptation du roman de Don DeLillo Cosmopolis. Verdict ? Maps to the Stars déroule sa satire d’Hollywood. Un Star Tour placé sous le signe de la consanguinité, des nouveaux monstres et de la postérité à tout prix. Rencontre en petit comité avec le réalisateur canadien.
Votre film montre que la belle famille d’Hollywood est totalement dysfonctionnelle…
Comme toutes les familles, non ? Hollywood est une étrange famille. Une famille très dure. Une communauté où tout le monde se connaît, où tout le monde est connecté. C’est particulièrement difficile pour les enfants. Le personnage de Benjie [Evan Bird, ndlr] illustre cela dans le film. Il est soumis à la pression incessante du succès, à l’ambition, au désespoir, à l’appât du gain… Des sentiments qui existent dans tous les milieux mais qui, à Hollywood, sont exacerbés. Je connais très bien tous les petits arrangements qui décident qui aura ou non du succès. Dans le business du cinéma, on n’y échappe pas.
Enfants et adultes star, une différence ?
Les adultes ont seulement l’apparence d’adultes. Ils ne le sont pas. Julianne Moore considère que son personnage est un enfant. Elle n’a jamais grandi. Et les enfants ne sont pas non plus des adultes. Benjie est un acteur qui sait comment jouer les adultes. Au fur et à mesure du film, on voit qu’il perd sa carapace de vice, de cruauté, de dureté. Tous les personnages du film sont innocents puisque ce sont encore des enfants.
Maps to the Stars fait penser aux livres de Kenneth Anger sur les dessous de Hollywood comme Hollywood Babylone. A-t-il été une source d’inspiration pour vous ?
Pas directement. Mais j’ai lu les livres d’Anger, il y a bien des années et ils m’avaient fasciné. Je n’y ai pas pensé consciemment en préparant le film car j’étais immergé dans le scénario de Bruce. Mais il est tout fait possible que ses livres m’aient inspiré indirectement.
Le film est né de votre collaboration avec Bruce Wagner ?
Bruce a publié son premier livre, Force majeure, en 1991 sur un chauffeur de limousine à Hollywood. Et, d’une certaine façon, c’est le personnage qu’interprète Robert Pattinson. Un type qui rêve de devenir acteur ou réalisateur mais qui gagne sa vie comme chauffeur. J’ai trouvé son roman fantastique. Nous sommes devenus amis peu après. Pendant des années, nous avons cherché une occasion de travailler ensemble, notamment sur une série télé. Mais ça n’a jamais marché. Bruce a écrit le scénario de Maps to the Stars il y a quinze ans environ. A l’époque, nous étions sans cesse en contact par téléphone pour apporter des modifications, discuter des personnages. Idem, pendant le tournage. Beaucoup de modifications ont été apportées pendant que nous tournions.
Ce n’est donc pas votre vision d’Hollywood ?
Je ne suis pas en guerre contre Hollywood, je ne me sens pas obligé de l’attaquer. Il y a des gens qui aiment faire des films sur le cinéma ou des romans sur l’écriture. Ce n’est pas mon cas. Ce qui m’a motivé, c’est la qualité du scénario et des dialogues de Bruce. Je n’aurais jamais pu écrire ça, car contrairement à moi Bruce travaille, vit et a grandi à Hollywood. Je n’ai pas pu voir ce qu’il a vu mais je le comprends. Moi, je n’ai que « flirté » pendant quarante ans avec Hollywood. J’y ai donc vécu quelques expériences étranges comme dans le film.
Pourquoi avez-vous dû attendre tant d’années avant de faire ce film ?
Pour plusieurs raisons : la première est qu’il s’agit d’un film sombre et pas très commercial. Pour le financer il fallait une coproduction avec l’Europe et le Canada. Mais c’est une histoire américaine et il fallait la tourner, au moins en partie, à Los Angeles. En plus, Bruce est un scénariste américain. Or, les traités de coproduction nous interdisent de prendre un auteur américain et de tourner aux Etats-Unis. C’était du moins impossible dans le cadre d’une coproduction franco-canadienne. Bref, nous avons finalement trouvé la solution en nous associant avec l’Allemagne où les critères sont moins contraignants. Nous avons pu tourner cinq jours à Hollywood. La plupart de mes films censés se dérouler aux Etats-Unis ont été tournés au Canada. On ne voit pas la différence. Mais, pour Maps to the Stars, nous avions besoin de quelques décors emblématiques : les lettres géantes sur la colline, Mulholland Drive, Hollywood Boulevard…
Vous parliez de modifications… Des exemples ?
Julianne Moore, par exemple, a accepté le film il y a longtemps. Quand je suis revenu la voir, huit ans plus tard, elle m’a redit « oui ». Nous avons dû apporter des changements au personnage, désormais plus âgé, ce qui est mieux, à mon sens.
Pourquoi ?
Car la pression qui s’exerce sur les acteurs et notamment les actrices de plus de 50 ans à Hollywood est énorme. Julianne a 52 ans et tourne quasiment tout le temps. C’est exceptionnel. Elle connaît beaucoup d’actrices de son âge qui n’existent plus. Passé un certain âge, elles n’intéressent plus Hollywood. C’est très brutal. Le fait que dans Maps to the Stars elle ait plus de 50 ans accentue la brutalité du film. On voit comment son personnage sombre dans le désespoir parce qu’elle a le sentiment de ne plus exister si elle n’apparaît pas dans un film. Il y a cette idée que vous vivez toujours mais que pour Hollywood vous êtes mort.
Par association d’idée, on pense à la chirurgie esthétique. Que ressentez-vous par rapport à cela ?
Il m’est arrivé de discuter avec des femmes qui envisageaient une opération. A chaque fois, le leur ai dit : « Ne faites pas ça ! » Ça peut vous surprendre mais je suis très opposé à la chirurgie esthétique. Que cherche-t-on à acquérir ? C’est pathétique et désespéré. Je peux admettre qu’on fasse appel à la chirurgie esthétique en cas de défaut physique très visible. Mais je ne comprends pas cette volonté de nier le vieillissement. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans le fait de vieillir. J’en suis la preuve, non ? Je crois qu’il faut accepter la réalité du corps humain. La combattre, c’est combattre l’essence de l’être humain. On naît, on se transforme, on vieillit. L’art et la religion servent à fuir cette réalité en affirmant : « Pas d’inquiétude ! Vous vivrez encore après la mort. Vous retrouverez votre jeunesse. »Je ne crois pas à cela. Je pense qu’il y a de la beauté dans l’acceptation de la réalité humaine. Il n’y a qu’à regarder Julianne Moore.
Pensez-vous que le culte de la jeunesse dans le star-system a changé ces dernières années ?
La fascination pour la jeunesse a toujours existé. Nous sommes génétiquement programmés pour rechercher la jeunesse. Je parle de Darwin, de l’évolution… Quand nous cherchons un partenaire sexuel, nous jetons notre dévolu sur une personne jeune, en bonne santé, une femme fertile… Quand on est vieux, on est bon à jeter : c’est une vérité génétique et non une construction culturelle. Certaines cultures tentent d’associer âge et sagesse. On donne ainsi le pouvoir aux anciens. Ce n’est pas du tout le cas en Amérique. Le respect de la sagesse et de l’expérience n’existe pas. Il n’y pas de place pour les vieux.
Après avoir disséquer le corps humain dans vos films des années 1980-1990, avez-vous l’impression de scruter l’âme humaine ?
Il n’y a pas d’opposition. En tant que réalisateur, on est forcément obsédé par le corps humain. On passe notre vie à observer et à filmer les corps et les visages humains. Et, pour moi, l’essence de l’être humain, c’est le corps. Au début de ma carrière, j’ai utilisé la science-fiction et l’horreur, puis je suis passé au mélodrame et au drame psychologique. Mais au fond, c’est toujours un seul et même sujet que j’aborde : l’humain.
Votre film est très pessimiste. Y a-t-il un brin d’espoir à cueillir ?
Non. De mon point de vue, il n’y en a pas. Je ne crois pas en la survivance de l’âme. Nous disparaissons dans la mort, nous sommes annihilés. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’espoir dans la vie réelle. Mais pour les personnages du film, il n’y en a pas. J’espère que le public sera capable d’accepter ça.
Maps to the Stars de David Cronenberg avec Julianne Moore, John Cusack, Robert Pattinson, Evan Bird… Canada, Etats-Unis, France, Allemagne. En compétition au 67e Festival de Cannes. Sortie le 21 mai 2014.
Merci à David Ramasseul de ParisMatch.com pour son aide à la traduction.