The End, de Jorge Torregrossa

 

The End, de Jorge Torregrossa

The End commence avec les retrouvailles d’amis perdus de vue depuis vingt ans (comme dans une chanson de Patrick Bruel). Chacun joue son rôle comme on l’attend : il y a le beau gosse agaçant, la copine sympa mais avec qui personne ne veut coucher, la fiancée mystérieuse (avec qui tout le monde veut coucher)… Et, brillant par son absence, l’ombre d’Angel, dit « le prophète » depuis qu’il a avalé un peu trop de substances illicites. Si les personnages avaient été plus jeunes, The End aurait été un teen movie. Au lieu de ça, Torregrossa réalise un quadra movie avec un twist d’une heure vingt. Parce qu’au bout d’un quart d’heure, la classique conversation non finie de potes qui reprend là où on l’avait laissée est terminée, et le film prend un tour inattendu.

La fin du titre, ce n’est pas celle d’une amitié, c’est la fin de tout. Torregrossa installe calmement une ambiance toute en violence contenue : une sorte d’apocalypse sous Lexomil, distillant çà et là des séquences choc sur fond de paysages magnifiques, séquences qu’on aurait aimées plus nombreuses et qui témoignent de l’immuable règne animal. Dans The End, la nature reprend ses droits ; l’homme y est petit (réduit à ses mesquineries et lâcheté du début du film), la femme un peu moins, et son existence prétentieuse n’est rien de plus qu’une pièce de l’évolution, vouée à disparaître. A travers son allégorie, Torregrossa pointe du doigt l’humanité : qu’est-ce que vivre ? Existe-t-on en dehors du regard des autres, sommes-nous autre chose que des acteurs, comme l’avoue l’un des personnages : « J’ai toujours été celui qu’on voulait que je sois » ?

Ce premier film de Jorge Torregrossa, récompensé par le Prix du jury du 20e Festival de Gérardmer, pose davantage de questions qu’il ne donne de réponses – ce qui laisse parfois circonspect –, mais au milieu d’une production où la mode apocalyptique est généralement synonyme d’hécatombe, de guerre nucléaire, de virus foudroyant ou de météorite, The End séduit par sa volonté de se démarquer et d’offrir une perspective poétique à la disparition.

 
The End (Fin) de Jorge Torregrossa, avec Maribel Verdú, Daniel Grao, Clara Lago, Blanca Romero… Espagne, 2012. Prix du jury au 20e Festival du film fantastique de Gérardmer.