Le Quattro volte, “Quatre fois”… Le titre du film de Michelangelo Frammartino s’inspire d’une phrase attribuée au philosophe Pythagore et selon laquelle “nous avons en nous quatre vies qui s’emboîtent les unes dans les autres. L’homme est un minéral car son squelette est constitué de sels ; l’homme est aussi un végétal, car son sang est comme la sève des plantes ; il est animal, car il est mobile et possède une connaissance du monde extérieur. Enfin, l’homme est humain car il a volonté et raison. Nous devons donc nous connaître quatre fois”… Quattro volte.
Michelangelo Frammartino nous propose donc de faire ce voyage pour apprendre à nous connaître. Le Quattro volte, c’est l’histoire d’une âme. Une âme dont le cinéaste a choisi de suivre l’errance. Du corps d’un vieux berger à la toux fatiguée à celui d’un chevreau dont on observe les premiers pas fragiles avant de “passer” dans celui d’un sapin centenaire, lui-même bientôt abattu et transformé en charbon de bois. L’homme, l’animal, le végétal et le minéral. Les quatre règnes sont là, liés les uns aux autres par un fil invisible. Par une force ancestrale, plus tellurique que divine, qui anime le monde.
C’est ce lien invisible que Michelangelo Frammartino a voulu capturer dans sa caméra. Pour cela, il s’est rendu sur les terres de ses origines. Celles des montagnes calabraises. Ces territoires haut perchés et hors du temps où se côtoient rites païens et processions chrétiennes. Profane et Sacré. A l’image de cette fête de la Pita, célébration païenne dont les racines remonteraient à la présence des Lombards dans la région et qui consiste à abattre un grand sapin, à le ramener à dos d’hommes au centre du village où il sera érigé puis transformé en charbon de bois. A l’image également de ce pasteur Pepino dont on suit le quotidien au début du film. Il vit à la marge, comme ses ancêtres, à la confluence du règne humain et animal. Tous les jours – on le suppose -, il se rend à l’église, comme on se rendait autrefois au temple, pour y récupérer de la poussière ramassée sur le sol. Une poussière d’église qu’il dilue dans un verre d’eau avant de l’avaler chaque soir afin de prolonger sa vie, si Dieu le veut.
C’est sur ces terres de traditions et à l’identité forte que le réalisateur italien est allé se ressourcer. Ces terres où l’homme se retire peu à peu. Ou plus exactement accepte de ne pas être au centre de tout. Ainsi Michelangelo Frammartino filme-t-il chaque personnage de la même manière, quelle que soit sa nature. Un berger y a autant d’importance qu’une chèvre, qu’un arbre ou qu’un objet. Une égalité que l’on retrouve jusque dans le traitement du son. Du murmure des voix humaines au bruissement du vent dans les feuilles, en passant par le bruit des animaux et le crépitement du charbon. Il n’y pas de figure centrale qui aurait autorité sur toutes les autres. Tout est imbriqué, traversé par la même énergie, considéré avec la même attention.
Le film de Michelangelo Frammartino ne se situe ni dans la fiction, ni dans le documentaire mais quelque part entre les deux. Si l’intention narrative du cinéaste est évidente, Frammartino a dû malgré tout accepter de lâcher prise et de “laisser faire”. Laisser faire les animaux, laisser faire les saisons, le temps, la nature en générale. L’homme s’efface autant devant que derrière la caméra. Et à travers de longues séquences, Frammartino parvient à filmer ce qui, habituellement, ne se laisse pas filmer, à capter ce qui ne se voit pas. Et finalement à conférer à ces Quattro volte cette atmosphère si étrange, teintée de poésie, à la fois banale et captivante.
Le Quattro volte de Michelangelo Frammartino, avec Giuseppe Fuda, Bruno Timpano, Nazareno Timpan, Italie, 2010. Sortie en Blu ray et DVD le 5 février 2013 chez Potemkine-Agnès B.