La Danse de la réalité, de Alejandro Jodorowsky

 

La Danse de la réalité, d'Alejandro JodorowskyL’histoire de Jaime et Sara, et de leur fils Alejandro, à Tocopilla, dans le Chili des années 1930. Jaime est un communiste convaincu qui veille d’une main de fer sur sa femme, chanteuse d’opéra ratée, et sur son fils dont il veut faire un modèle de virilité.

Après plusieurs projets annoncés puis avortés (King Shot et Les fils d’El Topo) et vingt-trois ans de silence cinématographique, plus personne n’attendait vraiment un nouveau film d’Alejandro Jodorowsky. On s’était presque fait une raison : Jodorowsky était désormais écrivain, prolifique scénariste de bande dessinée et cartomancien à ses heures, mais il était devenu un cinéaste à la retraite. Alors, entendre que son nouveau film, tourné dans le plus grand des secrets, allait être projeté à la 45e Quinzaine des réalisateurs constituait une annonce d’envergure : le paisible papy entouré de ses chats dans son appartement parisien allait redonner vie à ses créatures monstrueuses, à ses héros tourmentés et à son univers surréaliste.

Surprise supplémentaire : La Danse de la réalité est l’adaptation de son propre ouvrage et lève enfin le mystère sur l’enfance du cinéaste. Ou plutôt : une partie du mystère. Car Jodorowsky est un conteur qui préfère la légende au réalisme cru, le symbolisme au fait. Qu’il soit né au Chili de parents immigrés, on n’en doute pas. Que sa mère se pensait diva et veillait affectueusement sur son « petit prince », certainement. Que son père représentait une autorité sèche et crainte, probablement. Mais le symbole agit chez Jodorowsky comme chez personne d’autre (ou alors peut-être chez Apichatpong Weerasethakul, autre électron libre du cinéma) : son processus de création relève davantage de l’écriture automatique et de « l’expérience cérébrale » que d’un souci de raconter une histoire intelligible et comprise intégralement par le plus grand nombre.

Ainsi chaque élément est forcé, chaque personnage fantasmé et chaque situation devient allégorie. Fidèle à ses concepts surréalistes et au mouvement Panique qu’il fonda, l’auteur se laisse dépasser par son univers. Embarqué dans le train de ses pensées, il réalise une œuvre psychique et œdipienne : « Pour moi, ce film est comme une bombe psychologique », admet le réalisateur. Alejandro y joue son propre personnage, quand l’un de ses fils joue son père, un autre le dictateur Ibañez. Derrière l’écran, sa femme réalise les costumes et son fils Adan compose la musique… Le cinéma envisagé comme moteur de la « psychomagie », cette doctrine qui propose de parler le langage de l’inconscient. Le cinéma comme don reçu, et non comme produit.

On retrouve en tout cas dans La Danse de la réalité les obsessions de son auteur et, peut-être, leurs plus lointaines racines : cette fascination pour les monstres de foire et autres freaks qu’Alejandro tient de sa découverte du monde circassien, son inclinaison pour les martyrs, pour la violence et la cruauté. Et, bien sûr, la foi qu’il a en la rédemption après la chute. Autant d’éléments qui, en substance, sont au centre de Fando et Lis, Santa Sangre, La Montagne sacrée et du cultissime El Topo. Adoré par certains, détesté par beaucoup, le cinéma d’Alejandro constitue surtout une promesse : celle d’un « autre chose », un univers singulier, bizarre, théâtral et terriblement original qui imprègne durablement le spectateur.

 
La Danse de la réalité (La Danza de la realidad) de et avec Alejandro Jodorowsky, avec aussi Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Jeremias Herskovits, Cristobal Jodorowsky, Adan Jodorowsky… Chili, France, 2013. Présenté à la 45e Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Sortie le 4 septembre 2013.

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