En attendant de rencontrer Alejandro Jodorowsky, puisque Wildside ressort le 6 novembre prochain trois films restaurés du cinéaste et écrivain chilien (La Montagne sacrée, El Topo et Santa Sangre), scrutons un moment la voûte céleste pour contempler celle qui porte désormais son nom. Depuis le 24 juillet dernier, une planète se nomme, grâce à l’astronome français Jean-Claude Merlin qui l’a découverte à Nogales dans l’Arizona le 24 décembre 2005 (n’est-ce pas poétique ?) : 261690 JODOROWSKY. Rencontre.
Pouvez-vous nous raconter les conditions de découverte de cette planète ?
La plupart du temps, c’est en observant un astéroïde qu’on en découvre un autre qui passe dans le même coin du ciel au même moment. Et bien souvent, en suivant le deuxième, on en découvre un troisième, et ainsi de suite. C’est ce qui est arrivé avec l’objet découvert le 24 décembre 2005 qui est devenu aujourd’hui l’astéroïde Jodorowsky. Je l’ai trouvé en cherchant à ré-observer un autre astéroïde que j’avais découvert quelques jours auparavant. Il y en a encore des centaines de milliers à découvrir.
A quoi correspond le numéro 261690 ?
On connaît actuellement plus de 500 000 astéroïdes. Près de 370 000 d’entre eux ont été suffisamment observés pour que leur orbite autour du Soleil soit bien établie : ils portent alors un numéro d’ordre définitif. L’objet qui nous intéresse porte donc le numéro 261 690. A partir du moment où un astéroïde reçoit un tel numéro définitif, le découvreur a le privilège de proposer un nom. Sur les 370 000 astéroïdes numérotés, seulement 15 000 d’entre eux portent un nom, les autres se contentent d’un numéro en attendant que leurs découvreurs fassent une proposition… s’ils ont l’idée, le temps et l’inspiration de le faire.
Où se situe Jodorowsky dans le cosmos et à quoi ressemble-t-elle ?
C’est un bon gros caillou de 5 kilomètres environ, tout sombre, tout irrégulier et plein de cratères. Un peu comme un morceau de la surface lunaire. On ne l’a pas vu de près. On connaît son éclat et comme on connaît sa distance et la région du système solaire où il se trouve, on peut faire une estimation de son diamètre. C’est à peu près tout pour l’instant. Il gravite dans la ceinture principale entre Mars et Jupiter, en moyenne à 470 millions de kilomètres du Soleil. 261690 JODOROWSKY met environ 5 ans et demi pour boucler une révolution complète autour du Soleil. Elle s’approche au mieux à 290 millions de kilomètres de la Terre. Ce n’est donc pas très loin de la Terre, c’est beaucoup plus proche que la plus proche des étoiles.
Pourquoi avoir décidé de nommer cette planète Jodorowsky ?
On honore quelqu’un ou un lieu, un concept en fonction de critères purement subjectifs et personnels et d’une inspiration que l’on a à un moment donné. J’ai revu El Topo à cette époque et cela m’a incité à honorer Jodorowsky. C’est mon film préféré. La première fois que je l’ai vu, j’avais 16 ans. Je cherche aussi à proposer des noms qui ont pour moi une certaine esthétique et une orthographe originale pour qu’ils puissent se distinguer des autres astéroïdes.
Comment baptise-t-on une planète ?
Il y a des aspects techniques, scientifiques, littéraires – il faut pouvoir écrire quelques lignes en bon anglais. 16 caractères maximum, le plus court possible, prononçable par la plupart des êtres humains… Pas un truc du genre “zxqw”. Il y a aussi des choses qui ne se font pas : pas de militaires ni de politiques, pas de noms injurieux ou de mauvais goût. Pas de nom qui ressemble trop à des noms déjà donnés… C’est une activité rattachée au monde scientifique et donc gratuite. Il n’y a pas de business ni d’entreprise privée qui touche des royalties dans l’affaire. On ne paye pas pour cela et on ne gagne pas d’argent non plus.
Quels liens pouvez-vous faire entre cette planète et l’œuvre de Jodorowsky ?
Les liens que Jodo fera lui-même. Même (surtout) si c’est mystique, émotionnel, nostalgique. J’ai voulu lui offrir un petit morceau d’éternité : il va graviter là-haut tranquillement pour des dizaines de millions d’années, c’est déjà pas mal. Il ne regardera plus jamais le ciel de la même façon : si cela peut l’inspirer dans sa créativité, ce serait excellent.
Quand on pense à Jodorowsky, on pense plutôt à la magie qu’à la science, non ?
Quand on baptise un astéroïde, on est plus dans l’émotionnel que dans la science. Personnellement je voulais faire plaisir à un artiste dont j’ai apprécié les créations et j’ai pensé aussi que cela ferait plaisir à ceux qui l’apprécient. A ce stade-là, la science on s’en fout. Et puis quand on s’appelle Merlin, on a le droit de s’intéresser à la magie, non ?
Est-ce une évidence qu’un passionné d’astronomie s’intéresse à l’œuvre de Jodorowsky ?
Un passionné d’astronomie peut aussi être passionné de cinéma, de musique, de voyages, de vieilles pierres, de météorites, de monnaies anciennes, de bière belge (j’ai un faible pour la Grimbergen ambrée), de chocolat noir. J’arrête là, cela deviendrait indiscret… J’ai baptisé plusieurs dizaines d’astéroïdes parmi lesquels : Rammstein, Yves Coppens, Marcel Bleustein-Blanchet, Gotlib, Mandryka, Enki Bilal, Claire Bretécher, Amélie Nothomb, Peter Falk, Roberto Alagna et puis Carnac, Cluny, Rapa Nui… et même le Marsupilami ! J’ajoute tout de même que je suis un fan de science-fiction : j’en ai beaucoup consommé avant de plonger dans l’astronomie, ce qui fait que je suis en fait très bon public, tout à fait capable de laisser de côté les invraisemblances scientifiques pour me laisser aller dans le rêve et l’imaginaire.
Alejandro Jodorowsky est-il au courant de votre hommage ? Comment a-t-il réagi ?
Bien sûr qu’il est au courant. Les Humanoïdes Associés ont été super sympa de faire suivre l’information. Jodorowsky est plus que ravi et très reconnaissant. Je pense que pour lui l’honneur va au-delà de lui-même : c’est pour lui une réhabilitation de son nom de famille qui était méprisé au Chili, que ce soit à l’époque de son père ou à l’époque de ses études théâtrales.
