Un navet presque parfait
Il y a sûrement des films qui ont dû naître comme ça, accouchés une Budweiser dans une main, un tacos bien coulant dans l’autre, durant une bonne soirée entre potes. On part sur un sujet – les serial killers. On déconne sur un autre – les morses. Un ping-pong plein d’esprit s’engage – et si on combinait les deux. Chacun y va de sa vanne – sur les Canadiens. Tout le monde se gondole – t’imagines si on te greffait des dents de morse ! Mine de rien une histoire prend forme : Un animateur insupportable d’une webradio bidon part au Canada sur les traces d’un pauvre type, héros d’une home-vidéo pathétique et multi-cliquée. Une fois sur place, le reportage tombe à l’eau : le « freak » est déjà mort. Dépité, l’as du micro doit vite trouver un autre sujet pour rentabiliser son voyage. Le hasard, toujours justement cruel avec les arrogants, s’en charge en l’envoyant écouter les sornettes, a priori barbantes et inoffensives, d’un vieux marin paralytique reclus dans un manoir isolé… Et là, on se dit qu’on tient quelque chose de bien déjanté et que ce serait vraiment fun de tourner cette histoire grotesque d’homme-morse victime d’un tueur en série plus très frais mais pourtant bien décidé à rejouer le match de sa vie… Quel délire ! On y croit, on fonce !
Mais quand vient l’heure de vider les cendriers et de descendre les poubelles, la réalité se charge de gifler violemment l’euphorie alcoolisée des engagements festifs de la veille. La déprime est souvent un corollaire à la gueule de bois. On se rend alors compte qu’être drôle sur un bout de papier gras maculé de sauce chili ne suffira sans doute pas à satisfaire les exigences, même a minima, du geek de base. Bigre ! Mais c’est vrai que c’est maigre ! Avec ÇA, il va falloir être sacrément astucieux pour faire mieux qu’un film de YouTubeur – même si l’idée, c’est aussi de s’en moquer. D’abord, gaver le script de lignes de dialogues façon « stand-up » – débitées à la mitraillette par Justin Long, ce serait bien. Ensuite ne pas hésiter à en faire des tonnes dans l’absurde, l’autodérision et le pastiche – les geeks adorent ça. Piocher sans scrupules dans les grands mythes du répertoire classique, comme Frankenstein, pour donner du corps au personnage du vrai-faux vieillard mi-tueur mi-savant fou. Pour les FX de l’homme-morse : sans budget, mieux vaut la jouer old-school ostentatoire et assumé – les geeks comprennent ça. Donc, pas de numérique mais plutôt recycler un vieux costume de bibendum (ou de sumo) récupéré dans un parc d’attractions pour y mettre Justin – qui entre-temps a accepté le rôle – dedans, lui coller quelques poils de brosse à dents géante sur la bouche et jointer le tout au latex. Misère ! Le monstre est ridicule quand il bouge. Alors, limiter les cadres et les séquences, donner du rab de dialogues – les geeks digèrent ça – et surtout bien travailler son « trailer » – la qualité d’une arnaque se mesure toujours à celle de sa promesse. Et ça marche ! ça fait ovni, ça donne envie ! Avoir l’air cool quand on n’a rien dans le cigare, quel talent. Enfin, pour mieux faire passer la pilule et tenter de se dédouaner du désastre programmé, on place, en off et en bout de générique, l’extrait volé d’une séance de travail supposée nous prouver à quel point on s’est poilé à écrire ce film, qui n’est, en définitive, qu’une farce à regarder au sixième degré – les geeks achètent ça. Une sortie salle ? Même pas en rêve. Un DTV ? Possible. Mais alors on tire vite le rideau de fer, on se tire avec les trois dollars qui sont en caisse, on s’installe au Kazakhstan sous une nouvelle identité, on recrée un environnement social (pour les soirées vodka rollmops)… et on refait le coup avec une femme-loutre ?
C’était « Tusk, la vraie histoire », une variation côté coulisses libre et malhonnête de Tusk de Kevin Smith, un réalisateur qui vaut, quand même, beaucoup mieux qu’une petite escroquerie au DTV.
Tusk de Kevin Smith, avec Michael Parks, Justin Long, Haley Joel Osment… Etats-Unis, 2014. Sortie DVD le 11 mars 2015.
” C’était « Tusk, la vraie histoire », une variation côté coulisses libre et malhonnête de Tusk de Kevin Smith, un réalisateur qui vaut, quand même, beaucoup mieux qu’une petite escroquerie au DTV. ”
Tu ne crois pas si bien dire, il paraît que Tusk est le premier volet d’une trilogie !
Arrrrgh !!! Misère de misère… Alors, la femme-loutre se profile pour le 2 !