Abus d’alcool à foison, overdoses en veux-tu en voilà, sexe dans tous ses états, vice du jeu, le cinéma pointe souvent de la pellicule les addictions en tous genres, les héros qui sombrent malgré eux, emportés dans leur spirale infernale qu’ils ont eux-même initiée. Mais l’addiction à son métier, rarement. A fortiori quand il est dangereux, au point de perdre la vie quand ce n’est pas sa famille. Voilà la première originalité de L’Epreuve. Ici, Rebecca (Juliette Binoche, intense et nuancée) est photographe de guerre. C’est sa passion, ce qui rythme son existence. On pense à Sebastiao Salgado dans sa première partie de carrière. Comme lui, elle est incapable de ne pas affronter la mort sur son propre terrain. Elle est sur tous les fronts en guerre et n’hésite pas à brandir son objectif en toute circonstance, même si elle risque d’y perdre un bras. Là, en l’occurrence, c’est un poumon, après un reportage explosif à Kaboul. Son mari (Nikolaj Coster-Waldau, impressionnant et touchant) la recueille à l’hôpital. Et comme d’habitude, il panse les plaies de celle qui est partie si loin de sa famille (deux filles en manque de mère et de repères) pour capturer en noir et blanc, ici un conflit armé, là des gens agonisants après un attentat terroriste. C’est la seconde originalité du film. Ulysse et Pénélope sont inversés. Ulysse porte jupon et s’envole à l’autre bout du monde, pendant qu’une Pénélope à barbe s’inquiète et veille sur leur progéniture. Mais Pénélope n’en peut plus de cette vie et oblige Ulysse à quitter son univers d’aventures mortifères pour une vie paisible entouré des siens. Rebecca accepte. Mais chassez le naturel, l’appareil photo revient au galop, emportant tout sur son passage… Tantôt drame intime, aux images léchées et esthétiques, tantôt romance contrariée ou véritable film de guerre (le premier quart d’heure est particulièrement prenant), L’Epreuve oscille entre plusieurs genres. Il prend son temps, ne juge jamais ses personnages qui ont tous leurs raisons d’agir comme ils le font. S’il n’évite pas les violons et les sanglots, le personnage de Rebecca est si rare au cinéma qu’il serait dommage de passer à côté de lui et de ses choix. Si Salgado a su transformer son art en magnifiques paysages et reportages animaliers pour retrouver une paix intérieure, gageons que Rebecca en fera autant, quand elle sera allée au bout du chemin. Elle n’en est plus très loin. C’est là, sa plus grande épreuve.
L’Epreuve (Tusen ganger god natt) d’Erik Poppe , avec Juliette Binoche, Nikolaj Coster-Waldau, Lauryn Canny… Norvège, Irlande, Suède, 2013. Sortie le 6 mai 2015.