Albüm, de Mehmet Can Mertoglu

 

Un clic pour une claque

Album, de Mehmet Can MertogluLui est professeur d’histoire. Elle, travaille pour les impôts. Quadragénaires, ils n’ont pas d’enfant mais en désirent un ardemment, au point de se lancer dans une longue procédure d’adoption. En attendant son arrivée, ils organisent une fausse grossesse, pour faire croire à leur futur bambin qu’il est bien de leur sang. Et aussi pour les autres. Car ce couple refuse que ce secret, pourtant guère honteux, ne vienne à se savoir. Et quand le bébé est enfin dans son berceau et qu’un malencontreux cambriolage révèle l’adoption en cours, c’est le drame…

En compétition à la Semaine de la critique, le film turc Albüm désarçonne et ne fait pas dans la demi-mesure. Il faut dire qu’il est composé quasi exclusivement de plans fixes dans lesquels l’action point peu à peu, comme des photos animées qui se succéderaient pour former l’histoire de ce couple, entre drame et absurde. Le film commence par une saillie d’un taureau et la naissance d’un petit veau, métaphores de la stérilité de cet homme et de cette femme qui inspirent au début la compassion. Compassion de leur quotidien peu reluisant (appartement terne, métiers où ils s’épanouissent peu, vie sociale réduite), compassion envers leur volonté dure comme fer de présenter une grossesse radieuse à leur future progéniture par des photos d’un appareil jetable. Mais compassion qui se délite au fur et à mesure. Car s’ils n’ont pas d’enfant à aimer, ils ne sont guère aimables. A l’exemple de cette scène surréaliste dans un orphelinat où ils se permettent de dire haut et fort, sans ménagement, ce qu’ils pensent de la petite fille qu’on leur présente. Les mots racistes, les injures, l’alcool, la cigarette à haute dose achèvent de les rendre peu sympathiques, au point de souhaiter que leur procédure d’adoption ne se concrétise pas. Et quand bébé arrive dans leur vie, c’est justement pour le pire. De petit couple touchant, les voici devenus Bidochon qui se bidonnent en laissant le poupon sous un nuage de fumée ou dans sa couche souillée. Tout ce qui compte désormais pour eux : préserver les apparences, faire croire à leur nouvel entourage après un déménagement hâtif qu’ils sont bien les parents biologiques, réécrivant l’histoire de leur vie, même si c’est le pathétique qui l’emporte au bout du compte. Pour son troisième long-métrage, Mehmet Can Mertoglu se lance dans un film aux accents proches de ceux de Roy Andersson (Chansons du deuxième étage) entre plans esthétiques, lenteur volontaire et désespoir ironique. Il manque parfois de profondeur, tire en longueur, mais présente une intéressante et rare vision désenchantée de son pays, avide de se reconstruire et de se forger une nouvelle identité, quitte à ne pas montrer le meilleur de lui-même. Un Albüm au cœur pas si tendre qu’il serait dommage de ne pas ouvrir…

 
Albüm de Mehmet Can Mertoglu, avec Sebnem Bozoklu, Murat Kilic, Muttalip Müdjeci et Riza Akin. Turquie, 2016. Prix Révélation France 4 de la Semaine de la critique 2016.