Tout un poème !
C’est un poème en prose qui déroule sa douce mélodie, ses vibrations, ses variations subtiles et son élégance. Un haïku charmant aux premiers abords, qui se révèle fabuleux au fur et à mesure qu’on le relit. Simple et puissant. D’échos en motifs récurrents (celui des jumeaux, tellement drôle), Paterson de Jim Jarmusch conte l’amour, l’amitié, le travail, le quotidien, le temps qui passe.
Paterson, c’est le nom du héros ordinaire que Jarmush décide de suivre une semaine durant, montre en main. 6h30 (parfois un peu plus tôt, parfois un brin plus tard), le réveil sonne. Paterson se lève, avale son bol de Cherrios dans une maison de poupée entièrement customisée par sa petite amie Laura (Golshifteh Farahani, pleine d’humour). Puis Paterson prend sa lunch box et file dans les rues de sa ville : Paterson. Avant de commencer sa tournée, il note dans son carnet secret quelques vers minimalistes sur la vie, l’amour et les allumettes. Son recueil de poésie préféré ? Paterson, du poète américain William Carlos Williams qui vécut lui aussi dans cette ville. La boucle est bouclée. Toute la journée, il roule, écoutant le sourire aux lèvres ce que disent les passagers. Quand il rentre chez lui, il s’assoit sur le sofa et c’est au tour de Laura de lui parler, le visage encore barbouillé de sa création du jour. Puis il sort le chien. Passage au bar fétiche pour de truculentes conversations de comptoir… Et hop, nous sommes déjà le jour suivant. 6h30, le réveil sonne. Il se réveille dans les bras de sa douce qui lui raconte son dernier rêve rocambolesque.
En croquant le quotidien d’un couple en osmose (ou presque), Jim Jarmusch pose la question de l’inspiration et de la créativité. Tandis que Laura se passionne pour tout et n’importe quoi, se rêve chanteuse country puis la minute suivante pâtissière hors pair, Paterson peine à la croire quand elle lui dit qu’il est poète et qu’il a du génie. Ce n’est pas grave, si ça ne rime pas, dit-il à une gamine qu’il croise et qui elle aussi écrit des poèmes. Ce n’est pas grave si la vie est simple, murmure Jarmusch. C’est même pour ça qu’elle est belle et qu’on l’aime.
Et la douce dinguerie de ce film d’être un pur moment de bonheur. Sa magie prend le temps d’éclore et de s’installer. On en ressort ému, fou d’amour pour ces deux personnages. Un peu (beaucoup) d’Adam Driver aussi. On a envie d’aller promener Marvin le bouledogue, de préparer une centaine de cupcakes, de se mettre à la guitare et à la poésie…
… et que Jim Jarmusch reparte avec la Palme.
Paterson de Jim Jarmusch, avec Adam Driver, Golshifteh Farahani… Etats-Unis, 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.