La vieille femme et l’enfant
C’est l’état de siège à l’Aquarius, immeuble vétuste, ou vintage (question de point de vue), construit dans les années 1940, à Recife, le long de la très convoitée avenida Boa Viagem. Retranchée dans son bel appartement, Madame Clara (époustouflante Sônia Braga), écrivain et journaliste « musique » à la retraite, la soixantaine, résiste corps et âme contre l’envahisseur, un puissant promoteur immobilier, pour continuer à vivre là où elle a toujours et tout vécu. Dans ce face-à-face à la brutalité insidieuse, Kleber Mendonça Filho (Les Bruits de Recife, 2012) filme un Brésil qui s’en va, témoigne de ses changements violents, des conflits de générations et de valeurs. Le cinéaste critique cette idée de renouveau fondé exclusivement sur les exigences d’un marché carnassier, en général, et de la spéculation immobilière, en particulier. Bourgeon tout beau tout neuf de ce renouveau, Diego (Humberto Carrão) est ce jeune roquet vaniteux à peine recruté et prêt à tout pour déloger la reine du palais et mener à bien sa toute première affaire. Tous les autres ont cédé à ses « avances » de rachat. Clara est le grain de sable, la poussière dans l’œil d’un capitalisme aveugle et sauvage. Mais alors que ce fantassin zélé, formé aux méthodes agressives de management made in USA, redouble de médiocrité perverse afin de débusquer sa copropriétaire récalcitrante, Clara oppose son obstination tranquille, ses sarcasmes, sa liberté, son humour, sa beauté et sa musique, son énergie et sa fureur de vivre. « Je suis une vieille femme et un enfant, tout ça à la fois », dit-elle. Clara et son vieil Aquarius ne se laisseront donc par faire, ultimes remparts d’un Brésil attaqué de toutes parts mais qu’elle s’évertue toujours et encore à transmettre à ses enfants, à son neveu. Un Brésil que Kleber Mendonça Filho embrasse tout entier de sa caméra dans d’impressionnants plans aériens où extérieurs et intérieurs, où Aquarius, plage et mer semblent ne faire qu’un, tous unis dans cet acte de résistance plein de panache. Et qui mieux que la grande et fière Sônia Braga, magnifique icône de la culture brésilienne (Gabriela, Le Baiser de la femme araignée), pouvait incarner ce récit éminemment politique, hymne à la mémoire et à la transmission.
Aquarius de Kleber Mendonça Filho, avec Sônia Braga, Humberto Carrão, Maeve Jinkings, Irandhir Santos… Brésil, 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.