Dog Eat Dog, de Paul Schrader

 

Un film qui manque de chien

Dog Eat Dog, de Paul SchraderDifficile de bouder son plaisir en allant voir Dog Eat Dog. Après tout, Paul Schrader a toute notre sympathie en ayant été le scénariste de perles scorsesiennes (comme Taxi Driver, Raging Bull ou A tombeau ouvert) ou en ayant réalisé quelques films plus ou moins marquants (American Gigolo, La Sentinelle). En adaptant le roman éponyme d’Eddie Bunker, on était déjà conquis par avance, on allait voir ce qu’on allait voir ! Surtout que Schrader n’a pas pris des manchots pour incarner ses trois anti-héros : Nicolas Cage (qui alterne nanars et films d’auteurs avec une aisance qui confine au respect), Willem Dafoe (le plus européen des acteurs américains) et Christopher Matthew Cook, révélation à la carrure imposante et aperçu dans les séries Under the Dome et Walking Dead. Les trois lascars s’en donnent à cœur joie dans leurs rôles d’ex-taulards meilleurs amis du monde (ou presque), partageant lignes de coke, prostituées et mauvais coups avec force jubilation. Et le début de Dog Eat Dog est d’ailleurs fulgurant : un Willem Dafoe au bord de l’overdose regardant une émission de télévision sur les armes à feu et assassinant sa dulcinée obèse peu encline à accepter ses penchants pour les sites pornographiques. Le ton est donné. Entre images saturées, noir et blanc et arrière-plans absurdes, Schrader convoque les âmes de certains maîtres de cinéma. Scorsese en tête, bien évidemment, pour cette histoire de petits mafieux prêts à tout pour de l’argent bien sale (quitte à enlever un bébé ou exploser la tête d’un homme avec un fusil). Aronofsky période Requiem for a Dream pour les effets hallucinogènes des substances que les trois zigues s’envoient l’air de rien. Et surtout Tarantino lors de scènes alternant dialogues métaphysiques sur la rédemption et violences exacerbées, avec cervelle collée au mur. Il y a même un peu de Winding Refn option Drive aux néons et sous la brume. Seulement voilà, Schrader n’est aucun d’entre eux. S’il est un réalisateur chevronné qui n’a plus (trop) à faire ses preuves, il ne dépasse jamais le stade du brouillon bien fichu. On rit devant certaines répliques plus que politiquement incorrectes, on s’étonne de situations qui échappent aux protagonistes, mais on a l’impression d’assister à un trio en roue libre qui cabotine à qui mieux mieux pour détourner l’attention du spectateur du vide dans lequel ils s’ébattent. Tant et si bien qu’on finit par oublier pourquoi ils sombrent et comment ils pourront bien se sortir du bourbier dans lequel ils se sont mis tout seuls. Le rythme tombe peu à peu et on passe de la trombe des premières minutes au coma des dernières. Restent des moments d’humour plus que noir et des prestations habitées de trois comédiens qui semblent s’entendre comme larrons en foire. Dommage qu’ils soient les seuls à en profiter. Dog Eat Dog, c’est un chien qui jappe plus qu’il n’aboie avec un dentier de mâchoire menaçante…

 
Dog Eat Dog de et avec Paul Schrader, avec aussi Nicolas Cage, Willem Dafoe et Christopher Matthew Cook. Etats-Unis, 2016. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2016.