Chronique d’une famille dysfonctionnelle depuis le départ inopiné du père, Voix off est une comédie chilienne joyeusement foutraque qui lorgne du côté du cinéma européen. Nous avons rencontré le réalisateur Cristian Jimenez et le comédien Niels Schneider, caution francophone (mais en espagnol) dans un second rôle touchant et imprévisible.
Cristian Jimenez : Alors, tu as vu le film finalement ?
Niels Schneider : Oui, j’ai acheté un grand projecteur, c’est comme si je l’avais vu au cinéma !
Alors, votre réaction, Niels ?
NS : J’ai adoré ! Quand je suis arrivé sur ce film, j’étais comme mon personnage, je ne comprenais rien ! Surtout que les acteurs improvisaient tout le temps. Mais j’ai vraiment aimé le rythme singulier. C’est un film à la fois léger et profond, on s’attache aux personnages qui ont tous une réelle dimension, aucun n’est sacrifié.
CJ : Tu étais vraiment dans la situation du personnage…
NS : Complètement !
CJ : Je te regardais un peu de l’extérieur et j’ai vu des choses que tu ne voyais pas forcément car tu étais dans l’action, tout en ayant des moments de lucidité extrêmes sur ce que tu étais en train de faire.
NS : Exactement. C’est drôle, car sur le tournage, j’avais l’impression d’être le confident des autres comédiens. Comme Antoine [le personnage joué par Niels, ndlr] peut l’être de tous les personnages.
On est d’ailleurs aussi, en tant que spectateur, un peu désarçonné. Le film a une narration particulière, sans que les ellipses ne soient annoncées, sans unité de temps. On est directement avec cette famille…
CJ : Oui, on plonge dans le film sans faire les présentations. Je voulais faire des ellipses tout en gardant la sensation d’un temps serré. Au début, c’est Noël et à la fin, c’est l’été, mais entre les deux, le moment où l’on se trouve n’est jamais précisé. Ce qui peut être étonnant pour un public européen, c’est que Noël chez nous, au Chili, c’est en été.
Votre film, c’est un peu Tout sur mon père…
CJ : Un ami m’a fait cette blague, mais c’est vrai que le père dans le film ne prend pas beaucoup de temps à l’écran, il est comme un fantôme dont on parle tout le temps, qui est l’objet de rumeurs, il bouche les éléments dramatiques de l’histoire. Il a une présence forte en conséquence de son absence. C’est tellement chilien ! On a toujours l’impression d’une absence dans les familles.
C’est ce que vous vouliez démontrer ? L’absence du père ?
CJ : Je voulais parler d’un film qui avait pour titre Voix off, je voulais que les sons soient au centre. Je ne commence pas le scénario par une interprétation, une démonstration. Je me suis juste basé sur ce que j’ai pu entendre ici ou là, même si l’absence du père, oui, c’est très chilien.
Ce qui fonctionne dans le film, c’est l’alchimie entre les deux comédiennes qui interprètent ces deux sœurs, à la fois proches et distantes l’une de l’autre…
CJ : J’adore ces deux comédiennes. Je n’avais jamais avant travaillé avec Maria José Siebald, qui est aussi danseuse et fait des performances. Ingrid Isensee, par contre, c’est mon ex-femme, je la connais donc très bien et j’aimais cette combinaison et ces différences entre les deux, qui est à la fois très forte et tellement improbable. On a commencé par les scènes de match de tennis entre elles et c’est là que leur relation a commencé à se construire, entre complicité et compétitivité.
Niels parlait tout à l’heure d’improvisations sur le plateau…
CJ : Oui, il y en avait. Même si on avait un scénario avec des scènes très écrites et dialoguées.
NS : Tu m’avais même dit : “N’apprends pas !” Mais deux-trois heures avant une scène, parfois, je te voyais t’enregistrer sur un magnétophone…
CJ : Oui, je prenais ainsi des notes que je partageais avec les comédiens. Il y avait des dialogues qu’il fallait apprendre par cœur, mais je regardais aussi ce qui se passait autour, je laissais une certaine liberté. Je voulais capturer une sensation familiale, c’était ça le plus important.
Il y a un personnage français dans le film ; vous-même parlez notre langue. Cristian, vous semblez avoir une belle relation avec la France ?
CJ : Cela fait huit ans que je passe du temps dans votre pays. Je voulais montrer une famille chilienne qui vit dans un certain milieu intellectuel et où il est normal que les enfants partent faire des études dans un autre pays. Je voulais donc un personnage qui vive ailleurs et qui reviendrait dans son pays natal.
Et vous avez pensé tout de suite à Niels pour incarner Antoine ?
CJ : On s’était rencontré à Cannes il y a quelques années…
NS : Et on a plein d’amis en commun.
CJ : J’avais en tête un personnage plus jeune que celui d’Ana pour incarner son mari, pour que ce ne soit pas un couple évident, que les spectateurs se demandent pourquoi ils sont ensemble. Ce qui crée un peu de mystère autour de ce couple.
Ce n’était pas compliqué, Niels, d’avoir un tel rôle en espagnol ?
NS : On s’en est parlé longuement avec Cristian. Quand j’ai reçu le scénario, en français, il y avait quelque chose qui me plaisait dans ce personnage d’Antoine, j’aimais le ton qui se dégageait du film, comme un écho avec le cinéma de Woody Allen, car Cristian aborde des choses profondes avec beaucoup de légèreté. J’aime ses dialogues en moulins à paroles dans lesquels il faut détisser les choses. Il y a quelque chose de très beau là-dedans et mon personnage, je le trouvais assez émouvant, par sa présence un peu enfantine dans cette famille. Et jouer en espagnol, c’est une liberté, on ne contrôle pas ce qu’on fait, c’est agréable car il y a un total lâcher-prise. Ca donne de la spontanéité.
CJ : Ce qu’il y avait d’intéressant, c’est qu’Antoine peut aussi se montrer assez violent…
NS : C’est vrai ! Il est imprévisible.
CJ : Je voulais qu’Antoine, qui paraît si doux, puisse passer comme ça dans un état d’ultraviolence soudaine. Il y a une scène coupée où il s’énerve pour une histoire de cadeau…
NS : Pourquoi tu l’as coupée ?
CJ : Pour la bonne longueur du film. Même si j’aimais bien cette scène. C’est ça, le montage : sacrifier des choses qu’on apprécie…
NS : Je voulais absolument faire ce film, parce que j’aime ce que fait Cristian, qu’il fallait partir trois semaines au Chili sans savoir exactement ce que j’allais faire ou dire. C’était assez vertigineux et tellement improbable !
Antoine est d’ailleurs le lien entre tous les personnages, une sorte de tampon pour eux…
CJ : C’est aussi parce qu’on ne sait pas ce qui s’est passé entre les deux filles et leur mère avant. Lui, il arrive dans cette famille, il a un regard un peu naïf sur elle. Il ne comprend pas pourquoi sa femme et sa belle-sœur sont énervées contre leur mère, parce que lui, il la trouve chouette, ne la connaissant pas vraiment. Il devient son confident. Il ne juge pas. Les relations entre les personnages sont parfois un peu violentes, mais ça fait partie des familles en général. C’est pour ça que je voulais commencer le film par un accouchement, parce que c’est le début d’une famille et qu’en même temps, il y a une certaine violence.
Comment s’est passée cette scène justement, qui est aussi drôle également ?
CJ : Oui, on a introduit de l’humour parce que la mère qui regarde l’accouchement de sa fille se demande qui tient la caméra et pourquoi elle n’a pas été conviée. C’est une vraie scène d’accouchement qu’on a trouvée et on a filmé tout ce qu’il y a autour avec une caméra similaire pour donner l’illusion que c’est ce que vivent les personnages.
Cristian, vous qui vivez maintenant en Europe, quel regard avez-vous sur le cinéma chilien actuel ?
CJ : Le cinéma chilien est dans un moment intéressant, fort et dans la diversité. Cela fait dix ans qu’il retrouve de la vitalité, il y a plusieurs générations qui tournent en même temps. Je suis content de faire partie de ce mouvement encore jeune et je pense que le meilleur est à venir.
Vous allez réaliser un film en France et en français…
CJ : J’ai fait un autre film au Chili depuis Voix off, mais là j’ai envie de me lancer ici. Je n’ai pas de stratégie particulière. Je pense qu’on peut faire des films n’importe où.
Et quel regard portez-vous sur le cinéma français ?
CJ : Au Chili, il n’y avait pas vraiment de cinéma à cause de la dictature. On est dans l’adolescence du cinéma chilien. Alors que le cinéma français est tellement fort, c’est une référence, il y a une vraie tradition. Nous, on ose peut-être faire des choses différentes car nous ne sommes pas issus d’une telle tradition ancestrale. On fait un peu le Far West du côté créatif.
Voix off a été produit en partie par Julie Gayet. Comment l’avez-vous rencontrée ?
CJ : A Tokyo, dans un festival, il y a sept ans. J’y étais pour mon premier film, Julie elle, c’était pour 8 fois debout et elle avait remporté le prix d’interprétation féminine. On est devenus amis. Et elle a fini par produire mon second film et celui-ci.
Voix off de Cristian Jimenez, avec Ingrid Isensee, Niels Schneider, María José Siebald, Paulina García… Chili, France, 2014. Sortie le 29 juin 2016.