De Michel Audiard, l’Histoire oublieuse a tendance à se rappeler uniquement d’une scène de murge dans la cuisine du Mexicain, où un Lino Ventura disert évoque Lulu la Nantaise puis Teddy de Montréal. Et des successeurs autoproclamés tentent de s’en approprier le langage, mais « remis au goût du jour » (vous avez ici reconnu Bruno Solo et Fabien Onteniente).
A côté des trous de mémoire et des hommages gênants, les éditions vidéographiques successives nous permettent de redécouvrir certains métrages dialogués ou réalisés par Michel, malgré l’absence totale de crédit apporté à ce cinéma populaire. On lira peu de déférence à l’égard des artisans du genre dans les revues cinéphiles, plus curieusement enclines à l’Apatow-movie. Quand Judd se fend d’un Funny People aux « accents dramatiques », on hurle au génie. On laisse la comédie franchouillarde aux réacs.
Pourtant, les accents dramatiques ne manquent pas dans la carrière d’Audiard. S’il appliqua d’abord les vertus du taylorisme aux dialogues de films bon enfant, avec plusieurs livraisons par an (souvent terminées à quelques heures des dates butoir), les événements de sa vie et une maturité cruellement gagnée coïncidèrent avec une partie plus amère de son œuvre, débutée par le livre La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, et prolongée par la sagesse des pièces maîtresses que furent Garde à vue ou On ne meurt que deux fois.
La carrière d’Audiard semble plus protéiforme que ce que l’on veut bien admettre. Si la première partie s’axe sur des répliques brillantes, l’emploi de contrastes marqués entre différents niveaux de langage, si la deuxième tend à une épure où l’auteur entend adresser par quelques dialogues une profondeur inédite, un entre-deux existe, représenté par la satire politique Vive la France. Si l’on a souvent rapproché Audiard de Céline à cause de l’admiration du premier pour le second, le film de montage Vive la France le rapprocherait plus d’un Marcel Aymé. Déconstruisant le mythe militaire de l’entre-deux-guerres puis de l’après-1945, nouveau chapitre du « roman national » forgé par le gaullisme, ce métrage pourrait s’inscrire dans le sillage d’un roman comme Uranus, la truculence des personnages d’Aymé ici remplacée par la voix off nasillarde et sarcastique d’un dialoguiste en verve voulant régler ses comptes avec la Grande Muette.
« Bonne fille, pas fière, la France retrousse à nouveau ses jupes, nous voulons dire ses manches » (reprise du travail après Mai 68). « A défaut d’amant musclé, elle (La France) flirte avec Léon Blum » (le Front populaire). « Soudainement, alors qu’il y avait de la joie, alors que tout allait si bien chez Madame la Marquise, incongrûment, traîtreusement, malpoliment, on passe du théâtre aux armées à celui des opérations » (10 mai 1940).
Autant de formules assassines qu’Audiard égrène durant la bonne heure de Vive la France, au service d’une conclusion courue d’avance : la France aurait connu un bien meilleur XXe siècle si elle n’avait cédé aux ambitions belliqueuses que le contexte historique lui soumettait. Cette sentence évoquée, Audiard se rapproche curieusement du mot de De Gaulle (« les Français sont des veaux ») malgré la haine manifeste qu’il éprouve pour le grand Charles, montrant le peuple toujours prêt à faire la fête juste avant une guerre (et n’hésitant pas à prolonger les festivités pendant) ou à ne pas toujours écouter la voix du bon sens (et le « documentariste » de citer celle, très suivie au contraire, de l’ambassadeur de Pologne en France, répétant durant l’été 1939 qu’Hitler « bluffe »).
On pourra objecter que la principale tête à claques d’Audiard avait été enterrée trois ans avant la sortie du film à Colombey, mais le métrage n’en restitue pas moins le bouillon de culture des années 1970. Les maoïstes du Larzac et les Dupont-Lajoie, les gaullistes d’antan et les chiraquiens, les PSU et les CERES, les GP et les PCF, ce petit brassage de la France pompidolienne où Michel Audiard apparaît ni à gauche ni à droite, bien au contraire. Anarchique plutôt qu’anarchiste ?
Vive la France, réalisé par Michel Audiard, illustré par Siné, Opening dvd.