Le 28 janvier dernier, Jean-François Rauger rendait un vibrant hommage au cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa, invité d’honneur du 24e Festival de Gérardmer. Directeur de la programmation de la Cinémathèque française (partenaire de Gérardmer), critique de cinéma émérite et fin connaisseur du cinéma fantastique, il a accepté de nous rencontrer. Entre réflexions générales, ode à Kurosawa et souvenirs de toiles.
Comment se porte le cinéma fantastique ?
Le fantastique s’est aujourd’hui répandu pour dépasser la production des films à petit budget et pour atteindre des productions plus riches, plus populaires. Donc l’idée de surnaturel au cinéma est une idée qui se porte bien. Concernant le cinéma de genre, c’est une autre histoire… J’ai l’impression que les structures cinématographiques qui ont longtemps permis à un cinéma dit « de genre » d’exister ont aujourd’hui disparu. Le cinéma de genre, c’est un cinéma qui se porte bien lorsqu’il y a de la place pour la série B au sens large… Et j’ai l’impression qu’aujourd’hui l’idée de genre est de plus en plus difficilement cernable, si l’on s’en tient au cinéma exploité en salles. Les frontières sont devenues beaucoup plus floues.
Quelle relation entretenez-vous avec le Festival de Gérardmer ?
Gérardmer est un lieu de découvertes privilégié. C’est un festival qui a le souci d’interroger non seulement le présent du cinéma fantastique mais aussi son histoire. A l’image, cette année, de la rétrospective consacrée à Kiyoshi Kurosawa. Le partenariat entre la Cinémathèque et le Festival s’est donc imposé tout naturellement. Et voilà maintenant plus de dix ans que nous entretenons cette relation privilégiée.
A propos de Kiyoshi Kurosawa, comment résumeriez-vous son parcours au sein du cinéma fantastique ?
C’est un cinéaste cinéphile qui s’est notamment intéressé au cinéma américain des années 1970. Mais c’est évidemment quelqu’un qui s’inscrit aussi dans la tradition purement japonaise du film de fantômes. Une figure importante que l’on trouve déjà chez Mizoguchi et même avant. Mais Kiyoshi a apporté quelque chose de nouveau. c’est un pur cinéaste. Dans ses films, les sentiments d’inquiétude, d’angoisse proviennent avant tout de la mise en scène. Du cadre, de la bande-son, de ce qui peut parfois dysfonctionner entre les deux… C’est un cinéma où l’on n’est jamais certain de ce que l’on nous montre. C’est un cinéma très réaliste qui évoque des situations familières, presque quotidiennes parfois, où le fantastique n’est là que pour figurer les pulsions ou les projections des personnages. Le fantôme, chez Kiyoshi Kurosawa, ce n’est pas seulement le remord, le repentir, c’est aussi le désir de mort, la volonté d’annihiler l’autre. Etre, c’est nier l’être. C’est une philosophie qui traverse tous ses films, me semble-t-il.
Le premier souvenir de film qui vous ait fait frissonner ?
Le premier film purement fantastique que j’ai vu au cinéma, c’est un film anglais de la Hammer, Dracula vit toujours à Londres. Ca faisait alors un moment que je tournais autour du cinéma de genre. Quand on est enfant, on est fasciné par cette dimension imaginaire du cinéma. Après, parmi les premiers films à m’avoir « effrayé », je pense que Psychose d’Hitchcock reste indépassable.
Votre dernière « claque » fantastique ?
Under the Shadow, le film de l’iranien Babak Anvari projeté cette année en compétition à Gérardmer [dont il est reparti avec le prix du Jury, ex æquo avec la drôle de déclinaison italienne du film de super-héros, On l’appelle Jeeg Robot, ndlr]. Une histoire de fantôme, de djinn en Iran, dans les années 1980. C’est un film qui traite exactement le surnaturel comme moi j’aime qu’il soit traité, en partant d’une situation très familière mais qui la dépasse, parce qu’insupportable, en recourant au surnaturel. Il faut toujours qu’il y ait quelque chose qui vous rattache au réel, ça ne fait que renforcer la dimension fantastique du film.