Pour cette rentrée automnale 2017, nous décidons de mettre les petits plats dans les grands. Alors ne la jouons pas petit bras, inutile de mégotter, envoyons du lourd ! Dont acte. C’est juré, promis, craché, les nouveautés des Editions Montparnasse sollicitent les neurones autant qu’elles piquent la curiosité. Au programme de ces réjouissances pour le moins hétéroclite : le coffret des œuvres essentielles de Jean-Bat’ Poquelin, le Paris des cinéastes de la Nouvelle Vague, deux Wajda inédits qui risquent de vous secouer méchamment les tripes, un documentaire bien barré ou le bonheur de retrouver la fantaisie d’Arthur Joffé, un étonnant dessin animé brésilien présenté au Festival d’Annecy (le plus beau des festivaux !) et, pour terminer en beauté, du vagabondage philosophique qui ne vous fera ni mal aux pieds ni à la tête.
Le coffret « Comédie française ». 5 pièces de Molière
L’Avare. Mise en scène de Jean-Paul Roussillon avec Jacques Eyser dans le rôle d’Anselme, Jean-Paul Roussillon dans le rôle de La Flèche, Michel Aumont dans le rôle d’Harpagon…
Michel Aumont, en Harpagon grisâtre et nerveux, balaie la scène comme si le percepteur était à ses trousses. Inapte au bonheur, le plus radin des antihéros brasse le vent, pétri de désirs mais résistant à toutes les tentations, surtout celles qui lui en coûteraient. Un sou est un sou. Aumont, c’est l’acteur qui a le verbe haut mais qui, en même temps, sait faire montre d’une extrême douceur. Ces sautes d’humeur nous terrassent ! La mise en scène de Jean-Paul Roussillon épurée à l’extrême n’a jamais été aussi juste, et riche. Du grand art !
Tartuffe. Mise en scène de Jacques Charon avec Jacques Charon dans le rôle d’Orgon, Robert Hirsh dans le rôle de Tartuffe, Michel Duchaussoy dans le rôle de Monsieur Loyal…
Tout du long de ce tragique ballet de la comédie humaine où les faux culs élèvent leur hypocrisie au rang de qualité, notre cœur est soulevé jusqu’à la nausée. Attention, tant de bassesse et d’ignominie concentrées sur 2 heures nécessitent un solide traitement contre les aigreurs d’estomac. Tartuffe est peut-être l’œuvre la plus acide de son auteur, la pièce maîtresse, parce qu’elle met frontalement à nu les hommes, qu’elle ne cache rien et dévoile tout. La tartufferie, comme le dit si bien Honoré de Balzac, est le dernier degré des vices sous lequel on couvre ses débordements !
Alors quand la bonhomie d’Orgon se pique sur les traits aquilins de Tartuffe, on jubile. La cruauté est totale, et magnifique. Tartuffe que nous sommes !
Le Malade imaginaire. Mise en scène de Jean-Laurent Cochet avec Jacques Charon dans le rôle d’Argan, Jacques Eyser dans le rôle de Diafoirus, Georges Descrières dans le rôle de Purgon…
Professeur et pédagogue (les deux ne vont pas forcément de pair !), grand comédien, le metteur en scène Jean-Laurent Cochet est l’homme qui a rendu la parole à Gérard Depardieu. Rien que ça ! Alors forcément, son malade imaginaire a la langue bien pendue, voire chargée comme un âne du Poitou. Le résultat est d’une folle gaîté ! En Argan, Jacques Charon envoie du bois, comme disent les plus rebelles des abonnés du Français. Les reparties fusent à la vitesse de la lumière à tel point qu’il est préférable, même devant sa télé, de porter un masque pour se protéger des postillons. Signalons par la même occasion qu’il est très appréciable de profiter du théâtre filmé sans s’envoyer au préalable une boite d’Aspegic 500.
Les Femmes savantes. Mise en scène de Jean-Paul Roussillon avec François Chaumette dans le rôle d’Ariste, Dominique Constanza dans le rôle d’Henriette, Simon Eine dans le rôle de Clitandre…
L’une des plus truculentes pièces de JB Poquelin nous révèle avec force et intensité que si le ridicule ne tue pas, il ne rend pas plus fort ni plus intelligent ! Les Femmes savantes rassemble une cohorte de glandus aussi bavards que pénibles. Les écouter se chicaner sur des broutilles est un enchantement pour les oreilles !
Le Misanthrope. Mise en scène de Jean-Paul Carrère avec Georges Descrières dans le rôle d’Alceste, Bernard Dhéran dans le rôle d’Oronte…
Le Misanthrope célèbre la complexité humaine dans toute sa splendeur quand la haine et l’amour se mêlent de telle façon qu’on ne peut plus rien discerner. Sans doute l’œuvre de Molière la plus moderne. La misanthropie n’est pas une maladie imaginaire.
Hommage à la Nouvelle Vague
Paris vu par… réalisé par Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol.
1965. Jeune producteur et déjà chef d’orchestre, Barbet Schroeder dirige les cinéastes de la Nouvelle Vague pour une immersion dans un Paris en pleine mutation économique et sociale. Chaque quartier qui possède son ambiance devient le théâtre d’une tranche de vie parfois heureuse ou parfois malheureuse. Ma préférence va aux courts d’Eric Rohmer et de Claude Chabrol. Parce que les deux artistes se placent très adroitement à la lisière du fantastique et que l’on peut déjà y reconnaître leur petite musique et leur langage cinématographique. Paris vu par… reste un exercice de style réjouissant.
Deux films d’Andrzej Wajda
Korczak avec Wojciech Pszoniak, Ewa Dalkowska, Teresa Budzisz-Krzyzanowska, Marzena Trybala, Piotr Kozlowski…
Le docteur Korczak a passé ses trois dernières années en tant que médecin juif polonais de 1939 à 1942, dans le ghetto de Varsovie. Il décrit avec réalisme la vie qui y règne. Le scénario du film est directement inspiré de son Journal du ghetto.
Je n’irai pas par quatre chemins pour déclarer à la face du monde que Korczak est un chef-d’œuvre. Pas seulement parce qu’il raconte une histoire vraie et tragique mais tout simplement parce qu’il sonne juste à chaque seconde. Je ne connaissais pas le film avant d’en faire la promotion mais j’en reste encore coi de bonheur. Eh oui, il y a du bon parfois à être aussi ignorant ! Pendant les deux heures que dure le film, nous apprenons à connaître un Juste et nous apprenons à lui dire adieu. A travers le docteur et ces orphelins, Andrzej Wajda raconte sans voyeurisme la résistance dans le ghetto. Avant Steven Spielberg et Roman Polanski, Wajda embrassait l’horreur totale et l’amour absolu.
L’Anneau de crin avec Rafal Królikowski, Adrianna Biedrzynska, Cezary Pazura, Jerzy Kamas, Miroslaw Baka…
Automne 1944, l’insurrection de Varsovie s’achève. Après cent jours d’héroïsme, les soldats de l’Armée de l’Intérieur rendent les armes. Marcin, jeune lieutenant, est grièvement blessé. Il est porté par deux jeunes infirmières, Wiska et Jamina. Elles cherchent à se fondre dans la masse de civils qui s’apprêtent à quitter Varsovie après la capitulation. Les soldats ukrainiens arrivent et l’un deux s’éprend de Wiska et l’ordonne de le suivre…
L’Anneau de crin est un bel objet cinématographique mais trop insaisissable pour être réellement apprécié à sa juste valeur. L’anneau en question symbolise la promesse du combat pour une société libre et démocratique. Evidemment, en temps de guerre, entre les belles paroles et la réalité du terrain, nous savons tous que les petits intérêts passent avant les grands idéaux. Marcin est un personnage complexe, à la fois résistant, hésitant et pleutre, à tel point que l’on ne sait plus trop si nous devons lui accorder notre confiance. L’Anneau de crin raconte les espoirs déçus et les promesses non tenues. Ce film désenchanté est l’exact opposé des héros sacrifiés de L’Armée des ombres.
Et comme si ça ne suffisait pas…
Le Feu sacré réalisé par Arthur Joffé avec Arthur Joffé, Dominique Pinon, Maurice Lamy…
Un cinéaste pose des scénarios et cède à son désir de filmer à travers un vagabondage cinématographique. Filmer les gens qu’il aime, les lumières qu’il aime, ses voyages et ses amours, sont ses inspirations. On y trouve la drôlerie d’anonymes : une dispute de 2 chauffeurs de taxi new-yorkais à propose d’une église, une scène digne de Woody Allen. Le tout filmé merveilleusement à travers un sacre de la lumière.
Dans Le Feu sacré, Arthur Joffé nous parle de sa vie de fils de cinéaste (son père Alex Joffé a tourné 6 films avec Bourvil entre 1960 et 1970 dont le merveilleux Fortunat que je vous recommande chaudement) et de sa propre vie de cinéaste entre folie absolue et vaines recherches de fond. Durant 1h30, ses amis, ses acteurs fétiches et sa famille le titillent sur ses défauts et ses qualités et son absence totale de concession, qui lui vaut encore aujourd’hui d’être considéré par la profession comme un drôle d’olibrius (on peut penser qu’il doit bien s’en tamponner le coquillard !). Bref, un gars à qui on ne confierait pas la réalisation du prochain Star Wars. Arthur Joffé est un poète, un auteur perché qui s’applique à offrir des œuvres singulières – Harem, Alberto Express, Que la lumière soit !, Ne quittez pas ! – qui brassent les genres. Le Feu sacré, bourré d’humour et d’autodérision, nous présente un artiste généreux. Parfois, l’autofiction a du bon !
Rio 2096 réalisé par Luiz Bolognesi
Un immortel dévoile les événements historiques qui se sont déroulés au cours de l’histoire du Brésil : des guerres tribales précoloniales en passant par les révoltes paysannes du XIXe siècle, la résistance à la dictature militaire des années 1960 jusqu’au futur dystopique de 2096. Renaissant à chaque époque, ce héros lutte sans cesse aux côtés des plus faibles à la recherche d’un idéal et d’un amour perdu.
Rio 2096 prouve tout simplement que l’animé peut sans complexe brasser les genres, n’hésitant pas par la même occasion à prendre un certain nombre de risques formels (mélange de crayonné et de numérique) et scénaristiques. Si les allers-retours incessants dans le temps peuvent déranger les plus jeunes spectateurs davantage aguerris aux frises chronologiques made in Education nationale, on salue l’ambition de l’auteur à planter son décor principal dans un territoire dystopique jusque-là réservé aux œuvres pointues de la science-fiction classique. Les voyages temporels du héros nous servent à mieux appréhender la très grande du histoire du Brésil. On va, on vient, on comprend, on apprend. Au cours de ces immersions successives, on décèle un réel point de vue critique sur la gestion du pouvoir. Rio 2096 est une œuvre politique et sociale engagée, aussi profonde qu’intelligente, militant pour les droits des plus démunis. Très conseillé.
La Philo vagabonde réalisé par Yohan Laffort avec Alain Guyard
Mettre la philosophie dans tous ses états, hors les murs de l’université et du lycée, loin des intellectuels médiatisés. Plus que démocratiser la philosophie c’est chercher à la vulgariser, la ramener à sa dimension charnelle, dérangeante, remuante, faisant irruption là où on ne l’attend pas causant à tous, même aux plus humbles. Surtout à eux. Voilà le combat d’Alain Guyard lors de ses interventions en France et en Belgique dans des espaces marginalisés où la philosophie rencontrait un nouveau public.
La Philo vagabonde est un récit documenté un peu plus sérieux que La Philo selon Philippe, la série préférée de MC et JNB. Trêve de plaisanteries, l’heure est grave. Yohan Laffort et Alain Guyard se sont accoquinés pour rendre au monde un film utile. Utile parce qu’il donne l’envie de se plonger dans les bouquins, parce qu’il incite le spectateur à se bouger la rondelle pour penser autrement qu’un robot devant BFMTV, parce qu’il rend curieux tout simplement. La Philo vagabonde et nous transporte dans un ailleurs où l’on se sent tout d’un coup plus léger.
Le DVD bénéficie d’un formidable livret de 88 pages transportable dans les dîners mondains.