Et Terry Gilliam créa Don Quichotte
25 ans d’attente, plusieurs versions de scénarios, un tournage annulé au bout de cinq jours – mais un making of resté dans l’histoire (Lost in La Mancha) -, trois changements de casting et des procès à la pelle… Mais ça y est, Terry Gilliam a fini par gagner sa bataille contre les moulins à vent. Evidemment, L’Homme qui tua Don Quichotte suscite plus d’attente qu’il n’est raisonnable, et ne sera pas à la hauteur des fantasmes de tous. Dès le générique, Terry Gilliam rappelle ces tourments, et s’amuse, pendant toute la première partie du film, avec sa propre histoire rocambolesque. Toby (Adam Driver), réalisateur, est dans le désert espagnol. Il tourne une version de Don Quichotte, qui ne semble pas beaucoup mieux se dérouler que lors de la dernière tentative de Terry Gilliam. Tournage bordélique, réalisateur irascible, acteur médiocre, les raisons du plantage sont différentes (quoique). Adam Driver en alter ego de Terry Gilliam a perdu l’envie et l’inspiration, trop couvé par son assistant et son producteur. Il fait face à l’inverse de ce à quoi fut confronté Gilliam : trop de facilités. Jusqu’à ce qu’on lui rappelle qu’il avait déjà réalisé un Don Quichotte. Un film d’étudiant en noir et blanc, tourné dans un village non loin de là. Les films s’empilent – le film que l’on est en train de voir, le film en train de se tourner, le film réalisé dix ans plus tôt – comme autant de niveaux de lecture, autant de strates qui finissent par bâtir cet Homme qui tua Don Quichotte. Une manière d’exorciser, une catharsis avant de se lancer dans la réelle aventure picaresque, réalisée, elle aussi, tambour battant, tel un Baron de Münchhausen moins baroque et plus mature. En revoyant son film d’étudiant, Adam Driver se rappelle. Se rappelle la passion avant l’arrogance, le bricolage avant les moyens. Et réalise l’empreinte qu’il a laissée dans ce petit village reculé, ou un vieux cordonnier croit toujours être le vrai Don Quichotte. Avant d’être un film d’aventure, ce qu’il est aussi, L’Homme qui tua Don Quichotte est avant tout un film sur la fiction, la création et le besoin d’absolu, jouant sans cesse sur différents tableaux, mélangeant avec allégresse fiction, rêves, souvenirs et réalité. Pendant ce périple, Adam Driver joue sur une palette très large, réinventant sans cesse son personnage au cours des événements – dont le débarquement, clin d’oeil savoureux, de l’Inquisition (or, “nobody expects the Spanish Inquisition”) -, à la fois drôle, moqueur, burlesque, touchant, tragique… parfait. S’il n’y avait qu’une seule bonne raison d’avoir attendu 25 ans, elle se nomme Adam Driver.
L’Homme qui tua Don Quichotte (The Man who Killed Don Quixote) de Terry Gilliam, avec Adam Driver, Jonathan Pryce, Stellan Skarsgard, Olga Kurylenko, Joana Ribeiro… Espagne, France, Belgique, Portugal, 2018. Film de clôture du 71e Festival de Cannes. Sortie le 19 mai 2018.
Bien d’accord avec tout ça.
J’y suis retourné hier pour mieux saisir les innombrables séquences balayées par d’innombrables plans composés d’innombrables détails. Ce n’est pas évident de capter tout de suite les références au roman, et pourtant, elles sont très nombreuses. A la fois dans le film de Toby, la pub et dans les moments de distorsion du temps.
Un copain notait ceci: c’est un film, entre autres, sur le combat du rêve contre le monde matérialiste, les perdants magnifiques contre les gagnants du système, les batailles entre différents régimes d’imagination …
Et lors de ces deux séances, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer à quel point le film évoque la problématique bien actuelle du grand âge de la solitude, où si vous empoignez la vie comme un vieux rêveur idéaliste, que vous décidez de vous foutre du système, on vous considère comme sénile.