Le cinéma dans la peau
Membres du jury longs-métrages du 31e Festival de Gérardmer et incarnations du renouveau du cinéma fantastique français, les réalisateurs Mathieu Turi et Sébastien Vanicek nous parlent de leur passion pour le grand cinéma.
Vous êtes les deux spécialistes du cinéma de genre du jury cette année. Une forme de reconnaissance de votre travail ?
Sébastien Vanicek : Mathieu a déjà trois films, moi un. Je débarque donc. Sinon, regarder des films grandioses et décerner des prix, je trouve ça plutôt particulier vu que j’ai un film qui est actuellement en exploitation (Vermines). Je le prends effectivement comme une reconnaissance et une marque de confiance de la part de mes pairs. Mais, même si j’en suis très honoré, j’ai encore un petit travail de légitimité à faire…
Mathieu Turi : Ce que je trouve très intéressant, c’est justement qu’on soit deux réalisateurs de genre parmi d’autres personnes qui ne viennent pas de cette culture. Nous avons dix films de genre à voir, j’avais hâte de connaître leur regard sur le genre et qu’on mélange nos points de vue. En tant que juré et cinéaste, je préfère être dans l’émotion que dans l’analyse. C’est une démarche assez spéciale de se retrouver du côté du jugement alors qu’on déteste qu’on juge nos films, surtout de façon non constructive.
Compte tenu de ses évolutions, quelle serait aujourd’hui votre définition du cinéma de genre ?
MT : Pour moi, ça ne veut pas dire grand-chose. Même si je crois qu’en France quand on parle de film de genre, on pense en priorité au cinéma fantastique et d’horreur. Mais là aussi, c’est très large parce qu’on peut y mettre à la fois un slasher dont le seul but est de faire flipper et un film fantastique poétique.
SV : Je préfère parler de cinéma genré. Selon sa sensibilité, on peut filmer de façon genrée ou réaliste. La différence vient de là où on place la caméra. Pour ma part, j’ai réalisé plusieurs courts-métrages qui ont tout de suite été classés comme films de genre alors qu’on n’y trouve aucun élément fantastique. En revanche, ils expriment tous ma volonté de faire vibrer les spectateurs par le son et l’image. C’est cette approche physique presque organique qui représente le cinéma que je veux faire.
À quand remonte votre passion pour le cinéma fantastique ?
MT : Ce sont deux moments différents. Ce n’est ni The Thing de Carpenter, qui est sans doute le premier film que j’ai vu de ma vie quand j’étais enfant, ni même un autre film d’horreur, mais le making-of de Braveheart de Mel Gibson qui m’a vraiment donné envie de faire du cinéma. Ma pulsion de cinéma n’est donc pas synchro avec ma rencontre avec l’horreur. Les films communiquent toujours avec nous d’une façon totalement imprévisible.
SV : Ça n’a pas été automatique pour moi d’aller sur le fantastique et le film d’horreur. Mais il faut reconnaître que le film d’horreur est une opportunité pour beaucoup de réalisateurs qui n’ont pas de moyens mais qui veulent faire ressentir des choses fortes aux spectateurs. C’est une belle porte d’entrée pour débuter. C’est le lieu des hauts concepts qui tiennent en trois lignes. En réalité, j’aime le cinéma tout court. C’est Ridley Scott qui m’a donné cette envie de cinéma. De Gladiator à Alien, c’est un immense réalisateur qui explore tous les genres et qu’on ne peut résumer à cette appellation.
MT : Même si je réalise des films de création d’univers où la mise en scène est très typée, ça ne veut pas dire que je ne peux pas être bouleversé par un film qui mise tout sur ses dialogues. Comme beaucoup de gens qui font du cinéma, je suis un fan absolu de Spielberg qui est capable de raconter des choses insensées avec sa caméra. La preuve avec The Fabelmans dont le dernier plan raconte à lui tout seul une carrière entière. Cette mise en abyme ultime méritait à elle seule un oscar. Plus que le genre, c’est ce cinéma qui m’intéresse. Évidemment, je mets aussi Ridley Scott dans le même panier !
Vous êtes deux représentants de la nouvelle vague du film d’horreur français. Qu’est-ce qui vous rapproche et/ou vous sépare de celle des French Frayeurs des années 2000 ?
SV : Depuis mes débuts, je fais des films avec la même équipe et sans le moindre soutien dans le milieu du cinéma. Tout au plus, Alexandre Aja est venu nous voir pour nous féliciter de faire un film d’araignée en France ! En réalité, j’ai juste fait le film que j’avais envie de voir en salle. Si on veut me caser dans une nouvelle génération, tant mieux pour le cinéma français mais moi je ne me sens appartenir à rien du tout.
MT : C’est vrai qu’il se passe effectivement quelque chose depuis Grave. Mais c’est très différent de la vague des French Frayeurs qui était avant tout une initiative de la part de Canal+, qui ouvrait alors une fenêtre de production aux réalisateurs de cinéma d’horreur et fantastique. Au contraire, tous les films de genre sortis depuis 2016 ont tous des parcours extrêmement différents et ont surtout été financés par de l’argent privé. C’est cette diversité et le fait qu’on soit toutes et tous arrivés au même moment qui fait qu’on ne se sent pas appartenir à une vague mais plutôt à une époque.
Comment réalise-t-on un film à petit budget ?
SV : Avant tout, il faut avoir envie de se bagarrer et se préparer à faire avec très peu. Pour y arriver, il faut être apte, flexible et surtout savoir s’entourer des bonnes personnes, ce qui permet de faire plus de choses en moins de temps. Il ne faut pas avoir peur d’être fatigué et stressé. Sans budget, le niveau d’exigence physique et mentale est encore plus fort. Contrairement à une grosse production, on n’a pas les moyens de reporter ou de retourner une séquence ratée. On n’a pas le choix, il faut viser juste !
MT : Moi aussi, j’ai commencé sans connaître personne dans le milieu. De toute façon, faire du cinéma est tellement difficile… Ma méthode est de lancer pleins de projets en même temps et de voir ce qui prend. Si on se met à calculer en se mettant sur un projet uniquement parce qu’il est dans l’air du temps, généralement ça capote. On passe énormément de temps sur nos films, deux ans, parfois trois ou plus dans le cas d’un premier long, alors autant les aimer comme nos enfants.
La sortie en salle est-elle à chaque film un objectif ? Quel regard portez-vous sur les plateformes de streaming ?
MT : Au moment du Covid, tout le monde s’est sans doute emballé un peu trop vite en affirmant que le streaming allait détruire la salle. Finalement, on s’aperçoit que ça n’a pas été le cas. En revanche, on constate aujourd’hui que le public a des envies de fraîcheur en allant vers d’autres propositions de cinéma. La preuve en est avec l’échec, relatif, des blockbusters Marvel au profit de films plus personnels comme Barbie et Oppenheimer. Moi, je n’oppose pas salle et plateforme. Je trouve au contraire que les plateformes ouvrent de nouvelles opportunités de financement. Je rappelle que nos deux films ont été financés par des plateformes. En France, on a la chance d’avoir réussi à les intégrer au financement du cinéma. Et je tiens aussi à dire qu’elles permettent d’amener la culture à des gens qui n’ont pas forcément les moyens d’aller voir trente films par an en salle.
SV : En France, comme on n’a pas de système de studio, ça reste toujours difficile de monter un film sans le CNC ni Canal+, qui ne donne plus autant qu’avant. Dans ces conditions, les plateformes nous sauvent. Par exemple, sans Netflix, je n’aurais jamais pu faire Vermines. Aujourd’hui, elles affichent clairement leur volonté de faire des films qui sortent en salle. Tout en sachant qu’un film comme le mien actuellement à l’affiche sera vraiment rentable à partir de sa diffusion en streaming. La chronologie des médias actuelle jouant en notre faveur.
MT : Concernant la chronologie des médias, on peut sans doute affiner encore certaines choses mais il faut reconnaître qu’elle protège ce qu’il y a à protéger. Elle s’est raccourcie et bien adaptée aux évolutions de l’époque. Sinon, je tenais à dire que nous sommes la preuve que les plateformes aident à faire des films.
Quel film imaginez-vous réaliser dans 20 ans ?
SV : Sans hésiter, un film d’époque, un péplum ou une fresque historique avec des milliers de figurants en costume. C’est ça pour moi le cinéma. Ça me fait rêver !
MT : Je crois alors qu’on a le même ! J’aimerais tellement adapter La Religion, le fantastique roman historique de Tim Willocks sur le siège de Malte par les Ottomans en 1565. J’espère y arriver un jour. Des costumes, des décors, du son, de l’image, de l’ampleur, une dimension épique… Voilà tout ce qui me fait vibrer.