On a profité de la présence d’Henri Lœvenbruck au Festival du film fantastique de Gérardmer 2024 pour lui poser quelques questions et parler adaptations de romans.
Quelques mots sur votre présence au 31e Festival de Gérardmer ?
Je me réjouis de retrouver les lecteurs au Grimoire, et si je le peux, de prendre un peu de temps pour voir quelques films. Je suis impatient de voir Girls, le court-métrage de Julien Hosmalin, un réalisateur pour lequel j’ai une affection particulière. Je suis aussi très heureux que La Ligue de l’Imaginaire, le collectif d’auteurs que j’ai créé il y a 15 ans, soit très bien représenté avec Bernard Minier, Bernard Werber, Alexis Laipsker et Mathias Malzieu. Notre collectif a des liens étroits avec le Festival depuis longtemps. Et puis, j’ai été très touché par la proposition d’Anthony Humbertclaude de monter une exposition autour de l’adaptation BD de La Moïra (Glénat), à la Maison de la Culture et des Loisirs. C’est la série qui m’a fait connaître, il y a vingt ans. Et que j’étais d’ailleurs venu dédicacer ici !
Le thème qui traverse le festival est “de l’écrit à l’écran”, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Les liens entre écriture et cinéma sont évidemment essentiels et me tiennent à cœur. J’ai souvent œuvré pour créer des ponts en France entre ces deux médias, notamment au sein de la Ligue de l’Imaginaire, ce collectif de romanciers dans lequel le réalisateur Sébastien Drouin (Cold Meat) nous a rejoints, et avec lequel nous avons souvent organisé des rencontres avec des réalisateurs tels que Jan Kounen, Cédric Klapisch ou Jean-Pierre Jeunet. On peut mettre le plus grand metteur en scène du monde derrière la caméra, s’il n’a pas un scénario solide, le film a peu de chance de réussir. Beaucoup d’écrivains, dont je fais partie, voient leurs œuvres adaptées pour le grand ou le petit écran, c’est aussi le cas de Bernard Werber, Bernard Minier et Alexis Laipsker, trois de mes camarades de la Ligue, qui sont présents au festival. C’est émouvant, cette transposition vers un autre média. De voir quelqu’un s’emparer de votre bébé pour lui donner vie, le faire grandir…
Une transposition qui peut s’avérer difficile ?
Le travail d’adaptation est passionnant, parfois frustrant, bien sûr, car le format audiovisuel ne laisse pas autant d’espace que les longues pages d’un roman, mais tout l’intérêt est là : savoir tirer d’une œuvre sa substantifique moelle pour que son esprit transparaisse à l’écran, mais aussi pour que l’adaptation apporte quelque chose au livre, sinon, à quoi bon ?
Quand est-ce que ça marche ?
Quand le réalisateur et le scénariste comprennent l’âme du roman, et lui apportent l’univers visuel qui va le mieux servir celle-ci. Étrangement, l’auteur du livre n’est pas toujours la personne la mieux placée pour l’adapter en film, car il y a souvent des sacrifices à faire dans l’intrigue qui, pour l’auteur, sont un arrache-cœur, mais qui vont pourtant dans l’intérêt du langage filmé. Parfois, il faut même « trahir » le texte, comme l’a fait Ridley Scott avec Blade Runner : le film est très éloigné de la nouvelle dont il s’inspire, et pourtant, il a su capturer l’esprit de l’auteur, en vérité, l’esprit de l’œuvre de Philip K. Dick tout entière.
La dernière adaptation qui vous a bluffé ?
Il y a de grands exemples d’adaptations littéraires fort réussies au cinéma, comme Stand By Me, adapté par Rob Reiner à partir de la nouvelle Le Corps, de Stephen King, qui est au moins aussi bon sur l’écran que sur le papier. J’ai été bluffé par l’adaptation que Peter Jackson a faite du Seigneur des anneaux, qui était pourtant un défi de taille : tout le monde l’attendait au tournant. Et j’ai un petit faible pour Incendies, adaptation virtuose par Denis Villeneuve de la pièce de théâtre de Wajdi Mouawad. À vrai dire, c’est même pour moi le meilleur film de Villeneuve.
Un livre de genre que vous aimeriez voir porté à l’écran ?
Les fans de Lovecraft comme moi attendent toujours une adaptation réussie de l’une de ses plus grandes nouvelles. Tout ce qui a été fait jusqu’à présent, il faut l’admettre, n’est pas extraordinaire… Le fait que Guillermo Del Toro ait dû abandonner (jusqu’à nouvel ordre) son adaptation des Montagnes hallucinées, a été pour moi une grande déception, car je pensais que nous allions enfin avoir un film qui rende correctement hommage à Lovecraft… Cela reste à accomplir, pour essuyer l’affront du catastrophique Lovecraft Country !
Les Vosges, une terre inspirante en matière de fantastique ? Pourquoi ?
À cause de la Mirabelle, bien sûr ! Peut-être aussi de ces grandes forêts et des brumes qui enveloppent le lac de Gérardmer, à l’aube…
Quelles sont vos relations avec le Festival ?
Anciennes, fidèles et amicales. J’ai dû venir à une bonne vingtaine d’éditions du festival, depuis sa création – je me demande si je n’ai pas le record… -, et j’entretiens avec Gérardmer des liens particuliers, puisque j’y ai moi-même organisé le festival des Motordays pendant huit ans… Gérardmer, c’est un peu ma deuxième famille, et j’y compte des amis très chers, dont le parrain de mon deuxième fils, l’inénarrable Yves Ragazzoli.
Votre dernier frisson de cinéphile ?
À vrai dire, c’est plutôt un frisson de téléphile. Je suis en train de regarder la série Slow Horses, et je me régale de bout en bout.
Félicitations pour cette interview ! Je ne le connaissais pas du tout