Paolo Sorrentino l’avoue bien volontiers : “[…] ma connaissance des Etats-Unis, en dépit des nombreux voyages que j’y ai fait dans l’arrière-pays, reste encore celle d’un touriste.” Pour le réalisateur de L’Ami de la famille et Il Divo, This Must be the Place représentait donc à plus d’un titre un saut dans l’inconnu et le mystère de cette grande étendue. Et c’est donc la tête rêveuse qu’il s’est lancé dans l’aventure.
Le rêve de tourner avec Sean Penn qui opère encore une fois une de ses incroyables performances, métamorphosé en Cheyenne, une vieille star du rock désœuvrée et abattue, endimanché façon Robert Smith ; avec la trop rare Frances McDormand (Mississippi Burning, Sang pour sang, Burn After Reading…), excellente en épouse au soutien indéfectible. Le rêve également de voir certaines de ses idoles de jeunesse ponctuer le récit de son film. Celles qui lui ont fait aimer l’Amérique. A l’instar de David Byrne, le leader des Talking Heads, dont l’une des chansons aura inspiré le titre du film mais qui a surtout accepté d’en composer la musique et d’y incarner quelques instants son propre personnage. A l’instar également de Harry Dean Stanton, le Travis de Wim Wenders dans Paris, Texas, qui incarne ici un certain Robert Plath, l’inventeur de la valise à roulettes avec poignée ajustable !
Un Wim Wenders et un Paris, Texas dont l’influence inonde véritablement la ligne narrative et l’esthétique du film de Sorrentino. Comme chez le réalisateur allemand, on se retrouve embarqué dans une longue odyssée à travers une Amérique profonde et sauvage, aux paysages infinis. Comme Travis, Cheyenne est un homme brisé et inadapté au monde qui l’entoure. Sa seule amie, Mary, est une jeune fan, une ado rongée par l’amertume, interprétée par une prometteuse Eve Hewson. Il apprend soudain la mort de son père. Un père à qui il ne parlait plus depuis trente ans. Survivant des camps de concentration nazis, il avait consacré toute sa vie à la recherche de son “bourreau”. C’est cette quête que Cheyenne décide de reprendre. Comme Travis, il entame alors une longue errance à la découverte de son passé et de son avenir. Et comme Wim Wenders, Paolo Sorrentino fait de son road-movie une méditation sur le passage du temps et la transmission d’une mémoire individuelle et familiale. Le voyage agit alors comme un révélateur et permet aux personnages de se réconcilier avec un passé douloureux, qu’ils doivent pourtant affronter pour pouvoir ensuite se reconstruire. “La peur nous sauve toujours”, lance Rachel, la petite-fille de l’homme qui a “humilié” le père de Cheyenne. Mais Cheyenne a décidé qu’il était temps pour lui de ne plus avoir peur.
Oui, This Must be the Place est une sorte de rêve éveillé à l’esthétique très soignée. Un beau film tout en contrastes et aux messages universels. En vrac : la filiation, le passage à l’âge adulte, la recherche de soi. Oui, Sorrentino aborde avec légèreté et poésie un sujet sombre et douloureux. Mais en dépit de toutes ses qualités, This Must be the Place repose sur des codes narratifs trop attendus pour pouvoir nous surprendre. Et si Sean Penn est remarquable de sobriété, insufflant à son personnage une ironie incisive et clairvoyante, on a parfois la sensation qu’il se contente de dérouler son talent. Au final, on est séduit sans être bouleversé.
This Must be the Place de Paolo Sorrentino, avec Sean Penn, Frances McDormand, Eve Hewson. Sortie le 24 août 2011. En compétition au Festival de Cannes 2011. Prix oecuménique 2011.