Après le lyrisme ensanglanté de La Comtesse, Julie Delpy renoue avec un cinéma plus intime en évoquant ses souvenirs d’enfance d’une certaine année 1979. Certes la Hongrie du XVIIe siècle a eu son lot de tortures et de vierges écorchées vives mais n’oublions pas que la fin des années 1970, ce sont les shorts trop courts, les slips de bain, une pilosité anarchique, des papiers peints qui font mal aux yeux et des R18 vert pomme. Mais surtout, il y avait le Skylab, la première station américaine envoyée en orbite autour de la Terre en 1973 et qui, en cette année 1979, risquait de se désintégrer au-dessus de nos chères côtes bretonnes. Il n’en fut rien puisque les morceaux allèrent sombrer à quelques milliers de kilomètres de là, quelque part au beau milieu de l’océan Indien (!?).
C’est avec un regard amusé, tendre et joyeux que Julie Delpy a choisi de se replonger, à travers les yeux d’Albertine (Lou Alvarez), 10 ans, dans cette heureuse tranche de vie. De science-fiction, le film n’en a que le titre. Mais alors pourquoi le Skylab ? Il fallait simplement à Julie un prétexte vers lequel faire converger toutes les craintes de la toute jeune fille qu’elle était alors. Et cet étrange objet extraterrestre tombait à pic !
Le Skylab, c’est une conviviale réunion de famille dans une maison de vacances, près de Saint-Malo. Delpy y rassemble parents, cousins et cousines, oncles et tantes, grand-père et grand-mère (dont on fête l’anniversaire). Une recette du septième art finalement assez classique lorsqu’il s’agit de faire se confronter générations, parcours et valeurs. En naviguant de personnage en personnage, Julie Delpy balaie tous les enjeux de l’époque. En vrac : la révolution sexuelle, l’après-Algérie, l’après-Mai 68, la peine de mort, l’union de la gauche, celle de Mitterrand et Badinter, face à une droite s’accrochant à ses gloires passées. Du sérieux donc ! Mais toujours abordé avec détachement et humour. On reste dans la comédie. On refait le monde autour d’un cochon cuit à la broche, on joue au poker, on farniente sur la plage, on se dandine à la “surboum” au rythme de Born to Be Alive.
Pour faire renaître les fantômes bienveillants de son enfance, Julie Delpy a réuni toute une tripotée d’actrices et d’acteurs aux curriculums très hétéroclites. D’Eric Elmosnino à Aure Atika, en passant par Noémie Lvovsky, Bernadette Lafont, Vincent Lacoste (Les Beaux Gosses) et Valérie Bonneton. Autant d’individualités que Delpy s’amuse à associer ou opposer au gré de situations pittoresques et cocasses, entre les pro-Brassens, Ferré et Barbara d’un côté, et les pro-Sardou, Cloclo et Mickey de l’autre.
Comme dans 2 Days in Paris, Julie Delpy a soigné son texte, y allant de ses quelques traits bien sentis : ainsi “Y a rien de meilleur que le couscous au beurre breton !” et “Les féministes, elles parlent beaucoup de salopette” ou “Tiens-moi mes lunettes, je vais danser le punk.” Et que dire de ce très distingué “Bah voilà ta première pâte-à-cul”, entendez serviettes hygiéniques.
Un bémol néanmoins. Là où 2 Days in Paris tenait tout du long sa tension rhétorique, Le Skylab s’ankylose ici et là dans des séquences que l’on aurait souhaitées plus courtes. Comme ce tour de chant à la fin du déjeuner ou la trop longue histoire que tonton Jean (Elmosnino) raconte aux enfants dans la voiture pour aller à la plage. Des scènes auxquelles Julie Delpy tenait sans doute parce que chargées d’une nostalgie toute personnelle, mais qui ont tendance à laisser le spectateur de côté. Dommage.
Mais hormis ces quelques arythmies, Le Skylab garde ce petit quelque chose des comédies italiennes aigres-douces à la Dino Risi où l’on mange et boit beaucoup, on fume, on s’engueule, on s’embrasse. Bref, un film “bon vivant” et bon enfant.
Le Skylab de et avec Julie Delpy, avec aussi Lou Alvarez, Eric Elmosnino, Aure Atika, Noémie Lvovsky, Bernadette Lafont, Vincent Lacoste, Valérie Bonneton. France, 2010. Sortie le 5 octobre 2011.