“Rien ne m’excite plus que de m’asseoir devant un film américain qui fait bien son job de film américain” (1). Après avoir mis en images l’apocalypse de Cormac McCarthy (La Route), le cinéaste australien s’est offert un petit plaisir avec la réalisation des Hommes sans loi. Une histoire de famille. Celle des frères Bondurant, Forrest, Howard et Jack, qui dans les années 1930, en pleine prohibition, ont monté la plus importante production d’alcool de contrebande du comté de Franklin en Virginie. Ils sont ce qu’on appelle des bootleggers. Mais leurs affaires se retrouvent bientôt menacées par l’acharnement d’une police véreuse incarnée par un certain Charlie Rakes, un agent spécial arrogant et vaniteux, tout droit débarqué de Chicago dans son costume trois pièces.
A l’origine de ce projet, encore un livre. Celui de Matt Bondurant, Pour quelques gouttes d’alcool, dans lequel l’écrivain narre les exploits de ses aïeux. Jack Bondurant n’était autre que son grand-père paternel. Forrest et Howard, ses grands-oncles. Un récit où s’entremêlent faits réels, anecdotes familiales, rumeurs et légendes. Une aubaine pour John Hillcoat qui a aussitôt vu dans ces pages une véritable mine d’or. Une opportunité inespérée de combiner deux de ses genres favoris, le western et le film de gangsters. Quelque chose entre Il était une fois en Amérique de Sergio Leone et Bonnie & Clyde d’Arthur Penn, deux références clairement revendiquées par John Hillcoat. Et c’est tout naturellement que le réalisateur australien a convié pour cette aventure son fidèle collaborateur et ami, Nick Cave, venu encore une fois lui prêter main-forte en se chargeant d’écrire musique et scénario.
Des hommes sans loi s’inscrit donc dans la tradition des grands classiques du cinéma américain, un cinéma traversé par les mythes, celui du self made man, cet individu courageux et seul face à un système perverti. Où la campagne apparaît comme un espace sauvage, un territoire de résistance où s’écrivent les légendes contre une ville symbole d’un pouvoir lointain et corrompu et d’une justice arbitraire. Un classicisme que figurent également les personnages pour lesquels John Hillcoat et Nick Cave ont pris soin de dessiner en détail des psychologies clairement identifiables. Un peu à la façon d’un Clint Eastwood, dans la veine de son Pale Rider, le cavalier solitaire et autres Josey Wales hors-la-loi. Des héros taciturnes à la force tranquille, imperturbables en toutes circonstances. Les frères Bondurant sont de ceux-là. A l’image de Forrest, à la fois frère, père et mère. A la fois autoritaire, protecteur et attentionné. Un personnage complexe traversé par des émotions très différentes auxquelles Tom Hardy a su insuffler cet équilibre de puissance et de tendresse. Howard, quant à lui, interprété par Jason Clarke, est plus impulsif, bagarreur mais loyal. Et enfin, il y a Jack, campé par Shia LaBeouf qui a su enfin s’extirper de ses robots digitaux. C’est le p’tit dernier qui n’a pas profité des prédispositions physiques de ses frangins. Mais Jack rêve de grandeur, de beaux costumes. Pour lui et ses frères, il voit les choses en grand, n’hésitant pas à booster la petite entreprise familiale en allant se frotter au big boss de Chicago, le redoutable Floyd Banner (Gary Oldman).
Des hommes sans loi est un film instinctif. Un film sur la violence excessive et quotidienne mais que vient contrebalancer une douceur silencieuse et un certain lyrisme. John Hillcoat s’amuse à alterner les scènes de pure sauvagerie avec des considérations beaucoup plus sentimentales. Une ambivalence mise en relief par la musique de Nick Cave, entre authenticité et modernité. Alors oui, c’est un film aux résonances très classiques. Mais, ça veut dire quoi “classique” au fond, tant le terme se trouve tout aussi bien employé pour souligner un manque d’originalité que pour célébrer une entrée au Panthéon des œuvres éternelles. Des hommes sans loi a effectivement des airs de “déjà vu”, mais pourquoi bouder son plaisir de plonger encore et encore dans ces univers qui ne cessent de nous fasciner. Des hommes sans loi est effectivement un film américain, mais qui fait très bien son job de film américain. C’est peut-être tout ce qu’il y a à retenir.
(1) John Hillcoat interviewé par Léonard Haddad pour Technikart SuperCannes.
Des hommes sans loi (Lawless) de John Hillcoat, avec Shia LaBeouf, Tom Hardy, Jason Clarke, Jessica Chastain, Mia Wasikowska, Guy Pearce… Etats-Unis, 2012. Sortie le 12 septembre 2012. En compétition au 65e Festival de Cannes.
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