Ca commence dans le néant. Quelques bicoques en tôle dans le désert palestinien, entourées de champs de mines antipersonnel. Ils sont trois Bédouins à tenter d’y survivre. Deux frères et l’épouse de l’un d’eux. Mais pour rien au monde, ils ne voudraient quitter ce bout de rien qui leur appartient. Même quand on menace de les exproprier, car incapables de fournir aux autorités les titres de propriété de leurs ancêtres, papiers inutiles avant la création de l’Etat d’Israël en 1948. Et la caméra d’Ami Livne, qui signe là son premier long après quelques courts-métrages, sert de témoin à leur existence qui se répète inlassablement. Intrusive lorsqu’elle pénètre dans leurs maisons de fer brinquebalantes ou discrète, tentant de faire comprendre l’essence de ces vies sans avenir au spectateur. Ces deux frères qui ne se parlent presque pas. Cette femme sous la coupe d’un mari qui l’empêche d’étudier. Ou leurs actes qui restent lettres mortes pour tenter d’infléchir le tragique dessein des autorités. Tout ce qu’ils tentent, avec leurs moyens limités, est aussitôt détruit comme par un coup de pelleteuse. Mais ils le tentent tout de même. Ils savent l’épée de Damoclès qui menace leur terre, mais ils continuent de vivre comme si cette menace n’était que chimère. Comme si tout, finalement, n’était qu’un jeu, comme si rien n’était palpable, autre que leur quotidien où les tensions restent sous-jacentes. Ils savent la douleur qui gronde, mais la contiennent, ne la laissent exploser que l’espace d’un instant. Car ils n’ont qu’eux, envers et contre tout. Et ce qui semble vain, devient lueur d’espoir. Ce qui sera réduit à l’état de débris ne demandera qu’à se reconstruire. Dans un éternel recommencement, comme des Sisyphe, portant sur leurs épaules leurs maisons de bois et de tôle en guise de rochers. Sharqiya demeure ainsi une œuvre silencieuse, mais assourdissante, témoignage de l’absurde qui subsiste en Israël, celui de ces Bédouins expropriés des terres qui leur appartiennent depuis des générations. Et ce, paraît-il, pour leur bien…
Sharqyia d’Ami Livne, avec Adnan Abu Wadi, Maysa Abed Alhadi, Adnan Abu Muhareb et Eli Menashe. Israël, France, Allemagne, 2012. Programmation Acid Cannes 2012.
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