J’ai vu un cri
Que feriez-vous si vous entendiez un cri en pleine nuit ? On entend un cri et l’on se dit : ce sont des gens éméchés, qui règlent leurs comptes. Cela ne me regarde pas. On entend un cri et on se dit : une femme est peut-être en train de se faire agresser… Je ne suis pas le plus fort ; il y a une trentaine de fenêtres qui donnent sur la rue, d’autres agiront.
38 témoins commence comme un polar classique : le cadavre d’une femme baignant dans son sang au pied d’une cage d’escalier, la police enquête et vient chercher des témoins. Personne n’a rien vu ni entendu. Un plan d’Yvan Attal, de dos, plongé dans une semi-pénombre, nous fait croire que l’on a déjà compris l’histoire : l’assassin est recherché et nous serons de son côté. Erreur. Quoique. Le point de vue sera celui du coupable. Un coupable qui n’est pas un assassin. Et pourtant…
A la différence des 37 autres, Pierre (Yvan Attal) se sent coupable. A sa femme, Louise (Sophie Quinton), qui rentre de Chine et a eu la chance d’être absente la nuit du crime, il confie tandis qu’elle dort paisiblement ce qui s’est réellement passé dans leur appartement : Pierre était là, il a entendu le cri et n’a pas bougé.
Comment un couple peut-il tenir après une telle révélation ? C’est un des nombreux enjeux du film et il s’incarne dans la relation Pierre/Louise tendue à l’extrême. Indignation, colère, compréhension, peur, résignation, voilà quelques états par lesquels passera Louise face à un mari rongé, paralysé par sa lâcheté. Le personnage de Pierre est sartrien, il rappelle celui de Garcin dans Huis clos, en quête d’un jugement qui ne tombera jamais. Comme chez les amants diaboliques, le crime sépare et révèle les âmes. Car connaît-on vraiment la conscience de celui avec qui l’on couche ? Et si un lit se partage, la responsabilité, elle, est individuelle… 38 témoins est un film collectif sur la solitude de chaque être humain face à sa conscience.
Quand on ouvre ses fenêtres ou qu’on sort dans la rue, la honte devient publique. Et quand une journaliste déterminée (Nicole Garcia) s’en mêle, ce sont les regards de la France entière qu’il faut pouvoir supporter. Au juge, Belvaux se préfère peintre. L’atmosphère du port du Havre, les entrées et sorties de paquebots sont captés avec grâce, le mouvement brutal des vagues s’écrasant contre la coque ou le doux glissement du navire servent à raconter les fines nuances de tensions du récit. Rien n’est documentaire, tout est dramatisé. Les dialogues sont d’une intelligence remarquable car ils semblent écrits par les personnages eux-mêmes.
La vision de ce film est une expérience d’identification comparable à celle de Taxi Driver. Seulement ici, répétons-le, l’assassin n’est pas l’intéressé. L’identification n’est pas celle au mal, non, encore plus dérangeante car mesquine et en aucun cas héroïque, celle de la peur et de la lâcheté. Lucas Belvaux dit avoir voulu poser une distance, et refuser l’identification, c’est pourtant tout le contraire qui se produit, puisque sa mise en scène est absolument concrète et incarnée. Nous écoutons à travers les oreilles de Louise, blottie dans son canapé : le passage d’une mobylette dans la rue, les pas du voisin d’au-dessus, les pleurs d’un bébé. Un éclat de rire. Tout s’entend à travers ces murs de papier. La preuve en est donnée. Le déni collectif ne fait plus de doute.
« 37 ou 38 ? » demande le procureur. Hésitation. Combien de témoins ? Le 38e, ne serait-ce pas le spectateur ? Merci Monsieur le Procureur. Qu’aurais-je fait ? Qu’auriez-vous fait ? Qu’aurais-je fait ? Qu’auriez-vous fait ?
38 témoins de Lucas Belvaux, avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia… France, 2012. Sortie le 14 mars 2012.
Très bon point de vue sur ce drame et intéressante bande sonore.
Je ne parle pas que de la Musique mais aussi du travail des ambiances qui sont traitées de belle façon