Chaque jour, Marco Contrada, ethnologue naturaliste, arpente les hauteurs de son “pays”, le Frioul, au nord-est de l’Italie, en bordure de la frontière slovène. Chaque jour, il en gravit les pentes. A bord de sa camionnette puis à pied. Chaque jour, il fait sa ronde. Relève les cartes mémoires de ses petites caméras infrarouges qu’il a dispersées un peu partout. Accrochées à des arbres ou fixées aux dos d’animaux, elles lui donnent un accès privilégié au quotidien nocturne de la faune sauvage. Seul au milieu de cette forêt automnale, il en observe et écoute les murmures. Ici, le grommellement d’un sanglier. Là, le glapissement d’un renard. C’est d’ailleurs en pistant un renard que l’ethnologue découvre, au-delà d’une rivière, une zone qui lui était étonnamment restée inconnue. Les ruines d’un village abandonné aux murs écroulés ou étouffés par la végétation et aux maisons éparses encore debout abritant les reliquats de vies oubliées. Enfin presque…
Contraint de rester sur place pour deux raisons que nous nous garderons d’évoquer ici au risque de trop en dire, il s’efforce d’organiser son séjour impromptu dans ce sinistre village. Dans une penderie, il ramasse pantalon, chemise et gilet. Dépoussière une paillasse pour dormir. Ravive un vieux poêle et les mèches de quelques bougies. Pioche dans un paquet de tabac pour s’en rouler une. Et il y a cette montre gousset au tic-tac interrompu depuis longtemps mais qui, étrangement, finit par reprendre sa course. Simple hasard de la mécanique ou manifestation d’un passé soudainement réveillé ? Le scientifique réalise alors que ce village renferme de sombres secrets, cruels et coupables. D’antiques malédictions précieusement ensevelies dans la mémoire des anciens mais qui se déchaînent subitement et vont peu à peu se refermer sur un Marco livré à lui-même…
Evoquons d’emblée un ressenti général, en sortie de projection, malheureusement entaché d’un fâcheux problème d’équilibre. A une première partie de film admirablement crispante succède une seconde bien plus poussive. A l’image de son Marco, Lorenzo Bianchini semble s’être perdu en chemin, s’attardant plus qu’il n’aurait dû sur les tentatives désespérées de son personnage pour survivre dans ce village qui l’anéantit peu à peu. Et sous la crispation, on sent poindre alors une certaine lassitude. L’angoisse qui nous saisissait jusque-là s’effrite lentement. Dommage. Car ce problème mis à part, Across the River de Lorenzo Bianchini impose une séduisante structure de film de terreur pure. Avec une angoisse essentiellement portée par un jeu remarquable sur les atmosphères visuelles et sonores. Une photographie aux teintes sépia désaturées et cafardeuses ; les plans fixes et dérangeants des caméras infrarouges avec, soudain, les yeux “blancs” d’un animal effrayé traversant le champ ; des craquements suspects… Le cinéaste jongle à merveille avec ces peurs enfantines dont on croit s’être débarrassé une fois devenu adulte. Des peurs primales. De celles que peuvent éveiller une maison vétuste abandonnée, une forêt noyée dans la brume ou parée de son manteau de nuit, un bruissement mystérieux. Un film de terreur, donc, dans lequel Lorenzo Bianchini se garde très intelligemment de tirer un profit facile de jumpscares complaisants et autres effets de surprise inutiles. Quelque part entre Le Projet Blair Witch (pour le côté “nature inquiétante”, pas le found footage) et Into the Wild (un homme seul s’accrochant à la vie dans un milieu hostile), Across the River (Oltre il Guado en VO) laisse donc un goût mitigé. La frustration d’avoir assisté à une expérience qui aurait pu se révéler bien plus intense. Bref, un bien-mais-pas-top.
Across the River de Lorenzo Bianchini, avec Marco Marchese, Renzo Gariup et Lidia Zabrieszach. Italie, 2013. Présenté hors compétition au 21e Festival international du film fantastique de Gérardmer.