Mademoiselle, de Park Chan-wook

 

Sex Crimes en Corée

Mademoiselle, de Park Chan-wookSympathy for Mister Vengeance et Old Boy (2002 et 2003) étaient baroques et totalement fous. Stoker (2012), esthétiquement parfait, était inconsistant. Park Chan-wook, quelque part entre tout ça, signe avec Mademoiselle une œuvre somptueuse et singulière, pas aussi sage qu’il y paraît.

C’est en lisant Du bout des doigts de Sarah Waters que le réalisateur coréen décide de réaliser Mademoiselle. Il en reprend la trame mais modifie l’époque et les personnages. Ses héroïnes n’évolueront pas dans l’Angleterre victorienne mais dans la Corée des années 1930. Alors sous colonisation japonaise, le pays est ballotté entre plusieurs cultures. Park Chan-wook prend pour cadre une vaste demeure où se croisent les influences occidentales et orientales : architecture victorienne, pièces « à l’anglaise » (tables, tapisseries, décoration chargée) qui s’opposent à celles « à la japonaise » (futons, beauté zen et simplicité), lieux mystérieux avec ambiance steampunk avant l’heure. Pour sublimer le décor, Park utilise un objectif anamorphique, lui permettant d’enregistrer des plans très larges et de les restituer au format classique. Le procédé multiplie les détails à l’écran. Et rend l’histoire d’Hideko et de Sookee divinement enivrante.

Hideko est une riche héritière sous la coupe de son oncle. Désireux de lui voler son héritage, un escroc qui se fait appeler le Comte demande à Sookee de devenir la servante d’Hideko pour l’espionner et l’inciter à s’enfuir avec lui. Film d’arnaque, polar tendu, drame social, triangle amoureux, Mademoiselle brille bien plus que son prédécesseur, le décevant Stoker. Si chaque plan est ultra-soigné pour épouser les formes de ses héroïnes, ce n’est jamais une fin en soi mais une façon de servir l’histoire. De susciter l’attention et la tension. Dans la plus pure tradition des films d’arnaqueurs, on ne distingue jamais bien la proie du prédateur. Le découpage emprunte au baroque de la Trilogie de la Vengeance, recoupant les morceaux au gré du récit, dévoilant par touches les enjeux et les secrets. Et surtout, faisant place à un érotisme rarement vu au cinéma, intense et délicat, qui arrive naturellement, avec légèreté et sans artifice. On savait Park Chan-wook ultra-doué pour les effusions de sang ; on le sait maintenant ultra-doué, tout court.

 
Mademoiselle (Agassi) de Park Chan-wook, avec Kim Min-hee, Kim Tae-ri, Ha Jung-woo, Cho Jin-woong… Corée, 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes. Sortie le 1er novembre 2016.